Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/192

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Cette bibliothèque était remplie d’ouvrages de sorcellerie, de thaumaturges et comme un répertoire de tous les détraquements du cerveau. Il émanait d’elle un prestige malsain, mais elle ne devait pas renfermer de grandes richesses. Charcot lisait couramment l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien, puis il savait feuilleter les êtres et il devenait attentif aussitôt que quelqu’un lui apportait, sur un point quelconque, un renseignement précis. Il avait en un mot, dans sa profession, la bonne méthode.

Quand venait la belle saison il partait, avec sa famille, pour sa petite maison de Neuilly-Saint-James, qui était moisie, mais sympathique. On le trouvait là, le dimanche, dans ses cinq mètres de jardin, lisant et commentant sa lecture : « Quel saligaud et quel sommaire saligaud, votre Zola », s’écriait-il, un exemplaire des Rougon à la main, en apercevant mon père. Il parlait bien de Balzac, peu de Flaubert et il cherchait toujours la vérité psychologique ou physiologique dans les écrits, mais celle que les écrivains ont observée et traduite à leur insu. Il disait à Alphonse Daudet, à propos de l’Arlésienne : « Je vous sais gré d’avoir mis un innocent dans la famille d’un homme qui se tue par amour. Ça, c’est bien. » Car il avait certainement plongé plus avant que quiconque dans le mystère de l’hérédité et il est bien dommage que nous n’ayons pas de lui, là-dessus, un ouvrage d’ensemble, que seul il eût pu écrire.

La critique, par la voie du journal, lui était infiniment désagréable. C’est ainsi qu’un éreintement, d’ailleurs incompétent et vieux jeu, d’un grandiloquent serin qui signait Ignotus au Figaro, le mit, pendant plusieurs semaines, hors de lui. Autant que je me rappelle cette niaiserie, Ignotus lui reprochait d’être un charlatan et de donner ses hystériques en spectacle ! Je me demandais comment Francis Magnard, si finement circonspect, laissait publier de telles misères, mais, déjà habitué au papier imprimé, je trouvais un peu ridicule que Charcot grommelât, en attachant sa serviette de table avec une cordelette à agrafes que je vois encore : « Ce monsieur Ignotus… Hum… ce monsieur Ignotus… » Je songeais : « Quel gosse susceptible est demeuré dans ce grand savant ! » et j’apprenais ainsi à ne pas croire que les gens sont extraordinaires ou remarquables sur toute la ligne.