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LE PROFESSEUR POTAIN

gnaient pour observer son consultant, pour pénétrer au fond de ses cryptes, dans ses replis les plus secrets. Sa voix basse et douce effleurait le secondaire, résumait le principal, réconfortait, rassurait. Ses oreilles avaient la courbe de l’auscultation. Ses mains, assez fortes, étaient satinées et habiles, écartaient la chemise ou la chemisette avec une adresse de chambrière. Au chevet des agonisants, le Dr  Potain devenait immatériel, impalpable, tel qu’une lueur de phare sur les flots. Combien ont disparu, emportant la vision angélique de cette héroïque laideur ! Une mère me disait : « Sa mère a dû pleurer à le regarder quand il était enfant. Mais quelle joie pour elle, dans le Ciel, quand elle le voit faire aujourd’hui ! »

La Providence m’a permis d’approcher, pendant plusieurs années, ce grand maître, de recueillir pieusement ses avis, ses conseils, de les graver dans ma mémoire. Je n’ai perdu aucune de ses paroles, si mesurées et toujours d’une parfaite syntaxe, aucun de ses divins sourires, aucune des inflexions sourdes et vives qu’il accentuait parfois d’un frottement de l’index contre sa narine droite, et d’une tape sur sa petite calotte de chef de service. Je vois son tablier, que dépasse le manche du stéthoscope, sa vareuse, le gros crayon bleu dont il dessinait, sur les draps, les courbes d’une fièvre ou la cadence d’un rythme cardiaque, l’appareil à l’aide duquel il enregistrait le mouvement du pouls, la tension artérielle. Je sens, sur mon épaule, l’empreinte affectueuse de ses doigts et sur ma joue le baume de son baiser, le soir de la mort de mon père. Son image bénie est de celles vers qui je me tourne aux heures amères ou graves, pour demander un réconfort.

C’était un clinicien extrêmement ferme et qui avait le sentiment de sa valeur. Appelé en même temps que Charcot au chevet d’Alphonse Daudet, souffrant d’une forte bronchite, il recommença l’auscultation que son illustre confrère venait d’achever, sans tenir aucun compte du « mais je suis fixé » de celui-ci. Une autre fois, cinq ou six professeurs notoires discutaient sur le cas d’un malade, d’une sciatique compliquée. Aucun ne l’avait examiné. On en était au choix du remède. Alors Potain : « Eh bien, messieurs, je demande, moi, à voir cette jambe. » Il se méfiait des théories et des thèses et ne généralisait qu’exceptionnellement. Quand il avait achevé un examen, il tombait dans