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UN CONCOURS DE MÉDAILLE d’OR

droite et en avançant le maxillaire inférieur, qu’un tel était « un type ultra-médiocre » ou au contraire « un type épatant », il n’y avait qu’à s’incliner. On le savait aussi calé en littérature et en musique qu’en médecine et en histoire naturelle, critique sévère, mais excellent, avec cela sans nulle pédanterie. Bref, quand dans notre génération on avait dit « Maurice Nicolle », on avait tout dit. Il avait été reçu second à l’internat dans cette même promotion où le premier fut Arrou, qui depuis a fait une carrière si brillante dans la chirurgie. Ses maîtres ne tarissaient pas d’éloges sur son compte. Il était pour ses malades le dévouement même. Enfin, de l’avis unanime, la médaille d’or lui revenait de droit, même sans concours.

Il avait contre lui de n’être pas l’élève de Charcot. Dutil, médecin de haute valeur, avait été l’élève de Charcot. Mais dans un sujet qui lui était familier, la paralysie saturnine, — et cela prouve bien la sottise du système des concours à jet continu, — il se troubla, balbutia, froissa ses notes et s’en alla désolé. Il ne restait plus en présence que Maurice Nicolle et Parmentier, qui venait d’achever son internat à la Salpêtrière, dans le service de Charcot. Élève consciencieux, Parmentier fit un devoir passable, sans plus, au lieu que Maurice Nicolle composa une leçon magistrale, dont je me rappelle encore, à plus de vingt ans de distance, l’ordre, la précision et l’originalité. Sur la volonté formellement exprimée de Charcot, on lui préféra Parmentier. Ce fut une indignation générale. Personnellement j’en conçus une vive colère et, selon mon habitude, je ne me gênai pas pour dire tout haut ce que je pensais. À partir de là, je fus classé mauvais esprit et l’on me fit comprendre que je paierais cet accès d’indépendance plus cher qu’au bureau. De mon côté, je me promis bien de rendre les coups pour les coups. Mon père prit ma cause, avec cette passion ardente et lucide qu’il mettait au service des siens. C’est ainsi que cette histoire de médaille d’or eut des répercussions imprévues dans notre milieu.

Je cite ce cas entre mille autres semblables. Qui ne se rappelle la persécution systématique que subit le Dr  Sabourin, coupable d’avoir décrit la véritable structure du foie, glande protobiliaire, d’une façon opposée aux doctrines de l’infaillible trio Charcot, Cornil et Ranvier ? Combien de chercheurs ont été étouffés,