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DEVANT LA DOULEUR

large mouvement d’assainissement de la société. Pour Zola, plus une chose est sale, plus elle est saine. Il a les larmes aux yeux quand il décrit le fumier, cette genèse ; il se lave dans l’égout avec délices et considère comme d’infâmes hypocrites et des saligauds tous ceux qui préfèrent d’autres ablutions. Un peu plus, il les rangerait parmi les « nobles ». Son œuvre est la glorification de l’immondice, cette chose auguste. Il est vrai que, quand il a voulu nous la faire à la pureté, il a écrit le Rêve, ouvrage affreux, d’une blancheur chimique, où la candeur semble obtenue par la distillation des pires engrais, où l’orgue est installé au milieu des champs d’épandage, et où les vidangeurs habituels à l’écrivain sont costumés en premiers communiants. Le malheureux, avant de se mettre à ce pâle cauchemar, avait pioché des ouvrages mystiques ! Il s’imaginait pouvoir fabriquer cela comme le reste, en badigeonnant d’azur son groin.

Subitement, sous je ne sais quelle influence, Zola eut l’idée de se faire maigrir suivant la recette ordinaire : suppression de la boisson pendant les repas, thé chaud, légumes à discrétion, pas de pain. Déjà les médecins conseillaient ces régimes qui font, par leurs alternatives, le désespoir de l’estomac. Zola maigrit rapidement. Il se sentit alerte, rajeuni. Il abordait mes camarades : « Quel âge avez-vous ?… Vingt ans !… Dire qu’on a vingt ans, mon bon ami !… Ah ! si j’avais encore mes vingt ans !… la Veuneffe, la Veuneffe, il n’y a que ça de vrai… Vivez, feunes gens, vivez, tandis que nous philosophons. » Puis c’étaient des hymnes sur l’amour, comme dans les scénarios de Gustave Charpentier : « Aimez, feunes gens, dites-vous bien que feul l’amour vaut la peine de vivre. L’amour, c’est la seule liberté, le grand rachat. » Mes condisciples de l’École de médecine me disaient : «Il est gentil, mais il devient un peu raseur, ton Zola. C’était mieux quand il nous interrogeait sur Claude Bernard. » Le maître de Médan découvrit simultanément « les vraies jeunes filles », — comme il disait, avec une mine gourmande et grave à la fois, — et aussi, par une étrange association, la beauté morale de la vérité et le rayonnement de la justice. Il se représentait cette dernière ainsi que dans les chromos, en vraie jeune fille, décolletée, un glaive à la main. Seulement le glaive, survivance militaire, devait être remplacé par une plume trempée dans l’encre.