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DEVANT LA DOULEUR

Cet ironiste de grande allure a la sensibilité la plus aiguë, la plus directe, et toutes ses qualités en place. Il défend ses amis comme un lion, avec toutes les ressources de son esprit et de sa colère, au milieu d’une mimique désespérée. Il serait d’une folle imprudence d’attaquer feu Mendès devant lui. Notez qu’il ne peut ignorer aucune des tares, aucun des insupportables travers de Mendès. Mais sur ce point, c’est l’aveuglement systématique et son œil inquiet a l’air de dire : « Si je cédais grand comme ça, il faudrait abandonner tout le reste. Or j’aimais Mendès. Donc, je préfère bloquer. »

Il s’est composé une collection originale de tous les tableaux de rencontre et de brocante, les plus falots, les plus burlesques qu’il a pu dénicher. Il en parle avec amour. On sent qu’ils lui fournissent la clé de traits de nature similaires et correspondants. Cependant il a l’esprit scientifique et j’ai souvent admiré la facilité avec laquelle il déblaye le secondaire, pour aller à l’essentiel d’un vice, d’un travers ou d’une maladie. Courteline, tout modeste qu’il est, me représente une des physionomies les plus caractéristiques de notre temps et je suis bien tranquille sur la place que réservera à son œuvre la postérité. Il a donné une note si juste, avec un instrument si particulier !

Parmi les auteurs joués chez Antoine, je citerai encore Porto-Riche, juif de l’espèce tourmentée et don Juanesque, de qui ses compatriotes ont voulu prématurément faire un maître. J’ai rencontré quelquefois, non sans intérêt, ce front soucieux, ridé, cette tignasse « à l’artiste » devenue grise à regret, ces yeux pénétrants, fureteurs, derrière lesquels, à certains éclairs, transparaît un immense orgueil. Il a adopté une fois pour toutes le genre plaintif, le « que vous ai-je fait ? » des écorchés vifs. J’ai de lui une de ses pièces, avec cette dédicace qui le peint : « À Léon Daudet, quand même… » Pourquoi quand même ? Parce que je n’aime pas Israël et que je le dis ? Mais si ses tarabiscotages d’Amoureuse et du Vieil Homme m’amusaient, je le dirais aussi, et sans me gêner. L’homme et l’œuvre me donnent la même courbature, éprouvée régulièrement devant les explications de caractère qui n’en finissent pas. En outre, les marivaudages des galants messieurs du théâtre de Porto-Riche m’apparaissent trop proches de la sexualité et de la muflerie pour m’émouvoir. Ce sont des Hébreux empressés et pressés. À mon