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PORTO-RICHE, PAUL ALEXIS

avis, rien n’est plus loin de la passion vraie, conçue à la française, toujours chevaleresque par endroit. Le satyre à concetti, le cochon mélancolique sont deux types que je ne puis pas du tout supporter.

On m’a conté ceci. Un soir dans une des maisons où il est roi, quelques jeunes zélateurs entouraient Porto-Riche, lui immolaient successivement Sophocle, Racine, Musset et Shakespeare. Lui écoutait, l’air las, dolent, ses fines mains tapotant un éventail. Il n’interrompait pas, mais quand ce fut fini : « Alors vous aimez un peu ce que je fais ?… » soupira-t-il, les larmes aux yeux, à la façon d’un homme qui confond l’oignon et le laurier. Pour en finir avec Antoine, j’ajouterai qu’il est distrait. François de Curel lui racontait ironiquement un mot de sa cuisinière, conseillant la suppression de telle ou telle scène du Repas du lion ou de la Fille sauvage, qui à son avis faisait longueur. Antoine, n’ayant pas écouté, haussa les épaules et lui jeta un « foutez-vous de ça », encourageant, comme s’il se fût agi de rejeter l’avis motivé d’un critique sévère. Curel, paraît-il, en demeura pantelant.

Les Lockroy, Edmond de Goncourt et mes parents louaient en commun, d’abord à la Gaîté-Montparnasse, puis boulevard de Strasbourg, une grande avant-scène pour chaque première représentation du Théâtre libre. Ce qui fit qu’un soir le prince Louis Napoléon, amené par Goncourt, se trouva aux côtés de Georges Hugo. La salle, oubliant le spectacle, considérait avec curiosité ce rapprochement imprévu du neveu de Napoléon III et du petit-fils de l’auteur des Châtiments. La conversation, à laquelle je pris part, entre les deux jeunes gens fut très cordiale ; mais je sus plus tard que l’insupportable Frédéric Masson, apprenant la chose, avait levé ses grands bras de chimpanzé au ciel et vomi un flot d’imprécations : « Ah ! monseigneur, monseigneur, si votre pauvre père, mon auguste maître, avait vu ça ! » J’ai déjà dit que Masson, pour faire sa cour, a adopté le genre bourru et qui-qu’en-grogne. Il rechigne et regimbe afin de s’aplatir.

Aux premières solennités du Théâtre libre, apparaissait, dans l’ombre de Zola, Paul Alexis, le porte-étendard, ou mieux le porte-excrément du naturalisme. Il signait quelquefois Trublot, qui est le nom du chasseur et pinceur de bonnes dans