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LA WAGNEROMANIE

pour savoir ce que valent une décision prompte, une bonne pince hémostatique et une poigne solide. Sans compter les tentatives de suicide et les accès de folie subite, les accouchements spontanés ou provoqués, et les simulateurs. En principe, l’interne doit tout savoir et ne jamais être pris de court. S’il y a de la casse, c’est sa faute. Mais la nécessité rend ingénieux.

De mon temps, et je n’imagine pas que les choses aient pu changer, la solidarité des étudiants vis-à-vis de l’administration était très grande et les maîtres prenaient toujours le parti de leurs élèves contre les tracasseries de l’Assistance publique. Cela faisait une atmosphère générale de camaraderie fort agréable. L’habitude était de se signaler mutuellement et crûment ses défauts, dès le début de l’année, afin de n’avoir plus à y revenir. Quand le copain sur la sellette faisait mine de se piquer ou de se fâcher, c’étaient alors des scies, des bateaux interminables. Ces traits, communs à bien des agglomérations de jeunes gens, étaient ennoblis ici, je le répète, par le constant voisinage du danger. Imaginez un carré d’officiers de marine que menacerait perpétuellement la tempête.

Je ne sais pourquoi les peintures de salles de garde qu’ont faites du dehors les romanciers, notamment Jules Claretie, sont en général falotes et illisibles. C’est encore dans Sœur Philomène, des Goncourt, qu’on trouve les notations les plus exactes, mais privées de l’ambiance semi-blagueuse, semi-héroïque qui donnent tant de saveur à ce milieu. Pourvu, juste ciel ! que, tenté par le sujet, un Edmond Rostand ou un autre faux fantaisiste, faux romanesque en vers ou en prose, et surtout en toc, ne vienne pas un jour galvauder, dans un Cyrano d’hôpital, ces mœurs originales et savoureuses § Je ne me méfie de rien autant que de l’attendrissement exalté des versificateurs lyrico-neurasthéniques. Les larmes fausses chassent les larmes vraies, aussi sûrement que la comédie de l’amour tue l’amour.

Comment la wagneromanie s’est-elle abattue sur les salles de garde, aux environs de 1887 ? D’abord, je suppose, par réaction. Ensuite, par le va-et-vient d’étudiants français qui allaient étudier l’embryologie chez Kölliker ou la clinique des maladies nerveuses chez Erb en Allemagne, et d’étudiants allemands qui venaient étudier la bactériologie à Paris. Enfin parce que