Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/398

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Santiago se coiffait de la casquette officielle sur ses cheveux longs, arrêtait les voitures d’huile, prenait une mine sévère : « C’est de l’huile que vous avez là-dedans ? »

— Oui certainement, monsieur, de l’huile. Et je vais acquitter les droits.

— Gardez-vous-en bien. Comme je ne suis pas sûr que ce soit de l’huile, je préfère vous laisser passer sans payer.

— Mais vous n’avez qu’à vous assurer par vous-même que c’est bien de l’huile.

— Oh ! non, je suis trop paresseux. Et puis il est si facile d’imiter l’huile. Passez sans payer. Je vais même faire mieux. Voici pour vous cinq pesetas de la part du gouvernement. »

Le charretier songeait : « Voilà un drôle de douanier. »

Lobre et Santiago villégiaturaient dans un village de l’Île-de-France. Car Santiago est aussi Français, Parisien et même vieux Montmartrois de cœur que Catalan, ce qui n’est pas peu dire. Santiago a une crise de rhumatisme. Le temps étant beau, Lobre, aidé de l’aubergiste, descend le lit, avec Santiago dedans, l’installe au beau milieu de la rue du village. Rassemblement autour de ce monsieur aux longs cheveux, à l’air étranger, qui fume, étendu, un immense cigare. Tout à coup, le monsieur s’assied, cale son oreiller, demande une guitare et se met à jouer une malaguena, puis un fandango, puis une polka : « Ils ont fini par danser autour de moi jusqu’au soir, et je ne m’arrêtais que pour faire ouë ! aïe ! aïe ! à cause de ce satané rhumatisme. Tu te rappelles, Lovre, — Santiago prononce les b comme des v, — quel agréavle après-midi ! »

Les souvenirs épiques de ses séjours à Montmartre, — il habitait à côté du fameux Moulin, — sont consignés dans un ouvrage qui rappelle les Scènes de la vie de Bohème. On peignait toute la journée. Le soir, on allait dîner chez le père Poncier, un caboulot de la place du Tertre, où l’entrecôte Bercy était réconfortante, le vin parfait. C’est un axiome de Rusiñol que « tout ce qui s’appelle Bercy est bon ». Excellent cuisinier, il réussit comme personne l’escoudelia, plat national catalan, analogue à notre pot-au-feu, et le riz à la majorcaine, c’est-à-dire au poisson et au poulet. Ne vous effrayez pas de ce mélange, qui exige seulement le tour de main.

Mais les quelques traits que je viens de rapporter, simples