Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/410

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villes maudites était à l’affût de toutes les combinaisons de presse nouvelles. Il débutait régulièrement par un solide « tapage » à la caisse à peine installée, ce qui médusait les directeurs. Xau représenta au papa Letellier que Mendès amenait, à toute feuille où il collaborait, sa clientèle de saligauds, c’est-à-dire une petite armée. Par ailleurs, Mendès excellait à capter en l’éblouissant, en l’esbrouffant, n’importe quel homme d’affaires devant lequel il déballait son érudition à tiroirs et qu’il prenait à témoin, par un bouton de sa jaquette, de la splendeur de Wagner et de Hugo, de l’excellence de Jean-Paul Richter, de la subtilité de Henri Heine et de sa supériorité sur Gœthe. L’entrepreneur Letellier, n’ayant oncques entendu parler de ces jeunes prodiges, voyait déjà en eux de futurs rédacteurs de sa feuille et n’osait point encore lésiner avec un poète chevelu, à odeur d’éther, qui avait de si magnifiques relations. Mendès se chargea de recruter des éphèbes, comme il disait. Justement un petit juif, parfaitement hideux et sordide, nommé ou surnommé Lajeunesse[1], venait de publier un recueil de balbutiements bordés de bave, qui auraient voulu être acerbes et injurieux. Il passait dans le jet de l’actualité, comme un Caliban du ghetto. On l’embaucha.

Xau, de son côté, ne restait pas inactif. Il s’adressait à Armand Gouzien pour la critique musicale, à Coppée, à Barrès, à Mme Séverine, à Alexandre Hepp, pour des chroniques hebdomadaires. Il demandait des articles, des romans à Mirbeau, à Paul Arène, à Courteline, à Alphonse Allais, à Georges d’Esparbès. Je lui donnai Suzanne et un peu plus tard Sébastien Gouvès. Il prenait comme secrétaire de rédaction un journaliste de métier, Alexis Lauze. Celui-ci avait à côté de lui, pour le seconder, mon bien cher ami, Auguste Marin, aujourd’hui disparu, hélas ! Provençal de race ayant l’amour de son pays, et qui a écrit en français un délicat chef-d’œuvre, la Belle d’août, en langue d’oc des chants et sirventes de toute beauté. Parmi ces chansons, deux ou trois ont eu le très grand honneur de devenir populaires, sur le terroir même du poète qui les avait conçues.

La formule du Journal — comme répétait volontiers Xau — plut tout de suite au public. Les articles de Coppée et de Barrès notamment étaient lus avec avidité. Le père Letellier, se ren-

  1. Erratum : au lieu de Lajeunesse, lire La Jeunesse.