Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/42

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Sa conception du monde était sommaire, les rouages délicats ou compliqués le rebutaient et il mettait l’instinct avant tout. C’était une intelligence complètement matérialisée.

« Quel animal, ce Zola ! » répétait volontiers Goncourt, non sans impatience. On entendait, dans la pièce voisine, la voix nerveuse du compteur d’éditions : « Quand j’ai vu arriver le finquantième mille, mon bon, je me suis dit : nous irons bien jusqu’à foifante… Hein, Charpentier, hein ? »

Il interrompait cette scie des tirages pour venir à nous les jeunes et nous féliciter d’être jeunes et de nous comporter en jeunes. Le fait est qu’ayant de seize à dix-neuf ans, nous aurions été embarrassés de faire autrement.

— Léon, quel est ce garçon là-bas qui a un profil intelligent ?… C’est un ami à vous ?

— Oui, monsieur Zola.

— Comment s’appelle-t-il ?

— C’est Georges Hugo, monsieur Zola.

— Ah ! que c’est curieux, comme le monde est petit ! Est-ce qu’il se deftine aussi à la médecine ?

— Non, il va vers la peinture et les lettres.

— Ah ! c’est le jeune Hugo. Comme c’est fingulier, mon ami. Quelle belle chose que la veuneffe !… J’ai été au fond un peu févère pour son grand-père. Bah ! on m’affirme qu’il ne lit plus rien. Il digère sa gloire. Il a de la chance. Comme le monde est petit !

À distance, il est difficile de comprendre pourquoi cette « littérature de pontons » — suivant l’expression d’Huysmans — qu’était le naturalisme passionnait alors les esprits. Sans doute y avait-il là une réaction contre les fadeurs de Feuillet, de Feydeau, de Cherbuliez. Mais surtout, au lendemain de la guerre et de la dépression qui suit la défaite, le public cherchait avidement quelque chose d’âpre, de brutal, au besoin de blasphématoire qui lui rendît l’illusion de la force. Le porc fit l’effet d’un sanglier. Très peu d’écrivains et de moralistes — sauf toutefois Barbey d’Aurevilly et Drumont — signalèrent l’accident, comparable à la rupture d’une conduite d’égout, qu’était cette irruption de boue et de purin dans la littérature française. J’ai entendu batailler, pour Zola et ses romans d’épandage, de très braves gens délicats, nuancés, des poètes comme Coppée et Ban-