Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/436

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restent ternes et gris dans leurs rêves. Ils refusent tout le temps le sourire féminin, l’héroïsme, le goût du pain, le parfum des fleurs et le chant des oiseaux. Ils disent non à tout le positif de l’existence.

J’en demande pardon aux mânes de cette fripouille de Rosenthal-Saint-Cère. J’en demande pardon à Huron Bauer. Je donnerais tout ce théâtre de deuil et de torture vaine pour une réplique d’Othello. L’œuvre entière du « géant du Nord » m’apparaît comme un cadavre dans une chambre d’hôtel meublé, au bas crépuscule de l’hiver.

Nous devons à Ibsen deux formules du jargon sentimental intellectuel de l’Entre-deux-guerres : « vivre sa vie » et « en beauté ». La première menait les femmes faibles au trottoir ou chez la proxénète. La seconde légitimait toutes les loufoqueries. L’une et l’autre comportaient le sermon laïque. J’ai vu trop d’applications, douloureuses ou comiques, de ces insanités, pour n’en pas garder rancune à leur auteur responsable. J’ai marqué quelques traits de ces modes baroques dans mon roman les Kamtchatka, œuvre de réaction contre le snobisme ambiant aux alentours de 1895, et qui me valut de solides, de précieuses inimitiés.

Le polémiste, en effet, prend son point d’appui dans le mécontentement de ses adversaires. Plus ce mécontentement est fort et même injurieux, plus le polémiste a de fer, comme on dit en escrime, et mieux il est placé pour une bonne riposte. Ne me parlez pas des victimes résignées, des pâles protestataires, ni des éreintés indulgents. Lorsque j’applique, pour ce que j’estime être le bien de mon pays, sur ce torse ou sur ce rein, mes vésicatoires, un cri de colère, une grimace, une menace ne me déplaisent pas. C’est signe que le malade peut guérir.

— Mais il a bien dû vous arriver, dans le combat de plume, — m’objecte-t-on, — de vous sentir quelquefois touché ?

Fort rarement. Cela tient à ce que je connais mes travers et à ce que je n’attaque pas sans de bonnes raisons. Ainsi, mon ennemi ne m’apprend rien, si sa critique est juste. Si elle est injuste, je ne la perçois même pas. Quant aux accès de rage, ils me font rire, à la façon de caricatures réussies.

Les écœurantes fadeurs du tolstoïsme dégénéré et l’embrouil-