Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/462

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ai jamais vu non plus de plus riquet, de mieux tenu, ni de plus affable. C’est un vrai bibelot d’étagère. M. de Marcère est la bonté et l’honneur même. Descubes est un lettré et il a de l’esprit naturel. Les dîners mensuels de la Nouvelle Revue transformée, qui malheureusement ne furent pas nombreux, attiraient ainsi une foule de personnalités politiques de premier et de second plan, auxquelles Mme Adam réservait son plus affectueux accueil.

Mais c’est à la campagne, dans sa propriété de Gif, recevant et distrayant son monde par une belle journée, qu’il faut voir notre chère patronne. Elle habite là une ancienne abbaye, dont elle a respecté la ruine, flanquée d’une confortable maison moderne, avec un vaste atelier et une terrasse donnant sur la vallée. Quand vient la belle saison, le train dépose à la station plusieurs douzaines de Parisiennes et de Parisiens, quelquefois sympathiques, quelquefois indifférents ou antipathiques les uns aux autres, que des voitures emmènent à l’abbaye, qu’agglomère instantanément la cordialité de l’hôtesse incomparable. Si Mme Adam me l’ordonnait, je jouerais aux quilles avec Jean Aicard, qui est le plus horripilant, le plus bête et le plus cabotin des poètes sans poésie, et je lirais, d’un bout à l’autre, un article en charabia du grand Judet. Sur la terrasse de Gif, j’ai fait une partie de boules avec ce pauvre Jules Claretie, que j’avais égratigné plusieurs fois depuis l’Affaire, et nous nous séparâmes réconciliés. Malheureusement, quelques années plus tard, à l’occasion des représentations du juif Bernstein à la Comédie-Française, représentations que l’Action française empêcha, ce fut de nouveau la bisbille et je dus faire poum poum avec des pistolets, puis m’aligner à l’épée avec son fils Georges Claretie. Il s’en fallut de peu qu’il ne fût tué. L’existence a de ces détours… Que les littérateurs qui n’ont pas figuré dans les charades de Gif lèvent la main ! Impossible de faire le dénombrement des morts et des vivants qui ont défilé sur cette terrasse enchantée, qui y ont dépensé le meilleur de leur esprit, dans la liberté charmante du plein air.

Chose rarissime, pendant cette période de l’Entre-deux-guerres, les ennemis de la France n’eurent jamais accès dans cette maison française. J’ai connu des salons républicains infestés de juifs allemands et autrichiens et d’espions déguisés