Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/490

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professeur de littérature comparée au Collège de France il ferait !

Tel est ce sage, au masque puissant et railleur, grand dans un petit peuple, spectateur attentif des mouvements de la littérature et de la pensée européennes. À côté de lui, Georges Brandès, le juif danois, l’homme des Principaux courants… est un pauvre homme.

C’est que Byvanck, le bon tourmenteur, derrière les textes, cherche les âmes, puis les visages et les corps, puis les groupements et leurs réactions… et c’est par là qu’il s’apparente aux maîtres peintres de son pays.

C’est il y a vingt ans que Georges Hugo, mon frère Lucien et moi, enthousiasmés par l’hiver hollandais, décidâmes de pousser jusqu’à Elseneur, afin de nous rendre compte si la glace, le fantôme et la bise y étaient d’aussi excellente qualité qu’à Amsterdam et à Harlem. Il faut vous dire que nous avions traversé le Zuyderzée en traîneau, au coucher du soleil, et que la féerie nous en avait mis hors de nous-mêmes. On résolut, séance tenante, de compléter cette forte notion incendiaire et septentrionale. Un télégramme à nos familles respectives nous valut cette réponse étonnante : « Impossible Elseneur. Trop froid, trop loin, trop inquiets. » Combien la désobéissance nous parut douce !

Aucun de nous n’a oublié la gare d’Osnabrück, sous son linceul blanc, à trois heures du matin, où nous attendions l’Harmonica qui devait nous conduire à Hambourg. Pourquoi ce train rapide s’appelait-il ainsi, je l’ignore. Mais le vieil Hambourg, sous la neige, combinait à la fois les estampes de Whistler, d’Hokousaï et de Rembrandt. J’étais seul à connaître l’allemand. Mes compagnons me turlupinaient : « Demande-lui une autre bouteille… Dis-lui de faire réchauffer les pommes de terre… qu’il monte de l’Apollinaris dans nos chambres ». Quelquefois un mot usuel me manquait et tous en chœur : « C’est malheureux, après quinze ans d’études ! » Au sortir de Hambourg, Copenhague et sa « langelinie » nous parurent plutôt fades. Le Danemark n’était qu’un tapis de neige, immense, interrompu çà et là de traces singulières, queues de renards, pattes de corbeaux, telle une image illustrant le bon La Fontaine. Cependant le passage des Belts, sur un bateau brise-glace,