Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/500

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ainsi que le montre son portrait par Amaury Duval, que Lemaître a légué au Louvre. De taille moyenne, elle avait gardé, de sa jeunesse, une ligne charmante, l’harmonie des traits du visage, des cheveux cendrés et fins, des yeux d’une pénétrante mélancolie, d’une eau profonde et douce, parsemés à l’occasion de lueurs railleuses, une voix grave et tendre à la fois, telle que Shakespeare la prête à Cordelia. On la découvrait, en entrant chez elle, assise en douillette blanche dans un pouf rose de style second Empire, entourée de ses petits chiens favoris, un éventail à la main, gracieuse, un peu frileuse, même pendant l’été : « Asseyez-vous, mon ami ». Elle vous tendait une main longue, fine, soyeuse et fixait sur vous ses regards clairs. Son premier accueil attachait et subjuguait. Plus tard on s’abandonnait à elle complètement, en toute confiance. Je n’ai pas connu de partisan plus fidèle, plus loyal. Je lui disais :

— Vous valez dix hommes.

— Oh ! ce Léon, comme il vous lance cela ! Paf !… Est-ce vrai, monsieur Lemaître ?

— Léon a l’air d’exagérer, madame. Mais ce n’est là qu’une apparence. Vous valez en tout cas dix hommes comme moi.

Il fallait entendre leurs deux rires ! Quand Mme  de Loynes s’amusait vraiment, — ce qui n’était pas rare, — elle tapotait de son éventail le bas de sa robe, puis relevait les bras d’un air effrayé. Alors ses petits caniches jappaient. Afin de la distraire, je lui contais toutes sortes d’histoires et j’imitais les uns et les autres : Zola et son zézaiement socialophilosophard ; Hermant et son couin couin de petit canard gendelettre en porcelaine ; Barrès et ce « le croyaîz-vous vraiment ? » qu’il oppose, avec l’accent lorrain, aux niais solennels ; le rire henni d’Avenel ; le braiement poussiéreux de du Bled ; le bredouillement infatué de Judet. Que n’aurais-je pas fait pour amener, sur le visage de notre délicieuse amie, cette joie frémissante et communicative !

Mme  de Loynes avait autant d’esprit naturel, de tigrerie, qu’une Sévigné, une Lespinasse ou une Geoffrin. Elle trouvait dans le dialogue, dans la confidence, les mots les plus drôles, les plus profonds, les raccourcis les plus imprévus, les définitions les plus justes. Un touchatout hébreu de théâtre de chant,