Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/521

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ainsi qu’une mauviette et de plus en plus olivâtre. En raison de l’union sacrée, je lui adressai de loin un rapide bonjour, qu’il ne remarqua pas.

Pour en finir avec Henry Simond, j’ajouterai que Edmond de Goncourt publiait précisément un volume de son Journal en feuilleton dans l’Écho de Paris, au moment de cette algarade. Il y était question de moi, en termes fort affectueux, et Goncourt exigea l’insertion intégrale de ces éloges, immérités certes, mais plutôt piquants dans la circonstance.

L’histoire de ces démêlés faisait le bonheur de Lemaître, leader de l’Écho de Paris. Il me prenait les mains gravement : « Jurez que vous n’en voulez pas à Henry Simond ».

Je jurais et Lemaître, joyeux : « Madame, il faut désormais que Léon et Henry Simond soient toujours à table à côté l’un de l’autre. Au besoin, ils boiront dans le même verre et mangeront dans la même assiette ».

Mon oncle Ernest Daudet était des plus vieux et des plus chers amis de Mme  de Loynes, avec Henry Houssaye. J’ai pour mon oncle beaucoup de tendresse et de respect, en souvenir de mon père et des heures dorées de mon enfance. J’admire son prodigieux labeur, sa fécondité, son érudition historique, la bonne humeur avec laquelle il fait face aux tâches les plus utiles et les plus variées. Témoin de la jeunesse d’Alphonse Daudet, il demeure à mes yeux le cher répertoire de souvenirs inestimables. Je me vois encore allant avec ma bonne, le long du quai, lui porter le feuilleton dramatique de mon père, quand il dirigeait l’Officiel. Il représente pour moi le dîner du jour de l’an et le plaisir inépuisable des cadeaux. J’entends sa douleur si déchirante d’un soir de décembre 1897. Mais je dois reconnaître que ni en politique, ni en appréciation des personnes ou des circonstances, ni en littérature, ni en art, nous n’avons une idée commune. Mon oncle a horreur de la polémique et le malheur du temps me contraignait, avant la guerre, à la polémique sans merci. Il a horreur du terme cru et du jugement privé d’atténuation. J’aime la viande rouge sans sauce — je ne dis pas sans jus — ni légumes. Mon oncle est libéral et conservateur. Il a inventé le mot de « ralliement ». Je ne suis ni libéral ni conservateur. Je me suis rallié à la monarchie. Cette opposition de nos deux tempéraments rappelait