Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/528

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chait à le dérider, en lui affirmant qu’il y avait en lui l’étoffe d’un politique florentin : « Vous êtes un type dans le genre de Machiavel », lui répétait-il volontiers ; mais un petit rire tourangeau retirait du prix à cette définition. Dausset demeurait perplexe. Il songeait : « Se fiche-t-il de moi ? »

La première fois que Dausset, nouvellement élu, se rendit au Conseil municipal, ce fut en compagnie de Rochefort, Coppée et Lemaître, ses parrains : « Nous étions en landau, hein, oui, ma foi, oui, dans un landau, une espèce de voiture de noces, contait Lemaître. C’était d’ailleurs le mariage de Dausset avec la gloire. Le trajet fut sérieux et même austère. On faisait de grands projets. Mais, à peine ce diable de Dausset fut-il descendu de cet équipage, je ne sais comment cela se fit, Rochefort et Coppée éclatèrent de rire, et moi aussi. Expliquez cela. Notre allégresse ne cessa qu’à l’Étoile.

— Monstre de petit Dausset, va ! » concluait gaîment Mme  de Loynes.

L’avocat Michel Pelletier, aujourd’hui disparu, était grand, robuste, avec une solide mâchoire d’ogre et des yeux clairs d’enfant géant. Il apportait les potins du Palais, qu’il contait avec esprit, un peu longuement à mon goût. Lemaître, son camarade de jeunesse, l’appelait par antiphrase « petit Michel ». Le « bâtonnier » Ployer, vieillard aimable et doux, obligeant et fin, aux yeux toujours larmoyants, lui donnait la réplique. Ils appartenaient l’un et l’autre à des générations différentes, le premier à celle des jeunes ministres d’hier, le second à celle des hommes d’avant 1870 ; Ployer était plus lettré que Pelletier, habitué de la Comédie-Française et il avait un culte véritable pour Mme  Bartet. Pelletier, véritablement, dévorait, penché sur son assiette avec application et riant comme Pantagruel entre ses énormes bouchées. Le bâtonnier Ployer goûtait, savourait, disait son mot, n’insistait pas.

Le grand et vieux Gérôme de l’Institut, auteur de la désolante Tanagra, passait pour avoir eu de l’esprit. Je l’ai connu surtout quinteux, irrité contre Manet, contre Renoir, contre Carrière, contre Degas, contre Rodin, contre Whistler, contre tous ses contemporains doués pour la peinture et la sculpture, dont il n’avait pratiqué que le poncif. Il débitait, sur le compte de ces maîtres, les lieux communs effrayants de 1875, résidus eux--