Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soie, de ses cravates et de ses étincelants chapeaux. C’est un dandy, certes, dans la bonne et balzacienne acception du mot, et il attache de l’importance aux choses de la toilette, dont je me suis moqué, pour ma part, profondément. Mais, avant tout, il est sérieux, assidu, passionné pour la politique étrangère, dont il peut traiter pendant toute une soirée, avec compétence et insistance, en accentuant les finales de ses déductions et inductions, afin de vous les faire entrer dans la tête. J’ai un terrible défaut, une lacune immense que je préfère avouer de suite. Je ne puis pas m’intéresser aux hypothèses et calculs à longue échéance de la politique étrangère. Cela me semble vague et hasardeux. Jadis Brachet, aujourd’hui Jacques Bainville, m’ont paru, entre les spécialistes de cette science difficile, — qui est aussi un art consommé, — des maîtres du fait et des juges de l’heure remarquables. Je mets à part Mme  Adam, qui joint le sens du réel à celui de la prophétie, et dont le cas est génial. Aussi, tout en ayant beaucoup de sympathie pour l’homme charmant qu’est Boni de Castellane, m’est-il bien malaisé de le suivre, parmi le labyrinthe compliqué de ses marottes. Il doit penser de moi : « Quel type léger, quel invraisemblable cornichon ! » Je pense de lui : « Talleyrand s’il revenait parmi nous, serait vraiment fier de son descendant et de son émule ».

Mme  de Loynes portait beaucoup d’amitié à Boni de Castellane et nous faisait taire, Capus, Donnay, Lemaître, Grosclaude et moi, quand il donnait, gentiment, une consultation sur le germanisme, le slavisme, le rôle de l’Autriche-Hongrie et l’avenir de Constantinople. Cousin Maurice Donnay ne m’en voudra certainement pas si je constate qu’il est plus calé en psychologie qu’en politique étrangère. Capus s’y est mis sur le tard, comme directeur du Figaro, mais il avait à l’époque, c’est-à-dire aux environs de 1901, des dispositions assez médiocres. Grosclaude a des vues sur toutes choses et il est lié de longue date avec MM. Barrère et Cambon ; néanmoins il est plutôt spécialisé dans les questions coloniales. Lemaître manquait de goût pour les diplomates, sauf pour son vieux condisciple Gérard, qu’il avait d’ailleurs perdu de vue. De sorte que notre turbulence à tous les cinq avait besoin d’être contenue, et notre distraction gourmandée. D’ailleurs, Boni de Castellane ne se satisfait pas d’une