ai collaboré au Gaulois pendant huit ans. Je suis loin de
posséder tous les secrets administratifs de ce journal, destiné
au public « bien pensant », comme dit Meyer, en baissant
pudiquement les yeux. Néanmoins, j’ai des lueurs, et, en tout
cas, la psychologie de cet homme habile m’est connue dans son
ensemble, comme dans ses plus petites particularités. Il sait
son métier. Comme un de ses collaborateurs téléphonait sur
son ordre à un confrère, afin de le sonder sur une nouvelle présumée
dangereuse, qui devait paraître le lendemain, Meyer
impatienté s’écria : « Demandez-lui si ce papier passe en tête.
— Non, monsieur. — Alors, il ne s’agit de rien d’important. »
Autrement, en effet, l’article eût occupé la vedette. Ce n’est
qu’un détail, mais significatif. Autre qualité : Meyer s’est toujours
préoccupé de son numéro du lendemain, n’a jamais cessé
de l’éplucher, de le combiner en vue de son public. Ce public
est composé de poires conservatrices et libérales, les plus
dodues, les plus juteuses de Paris et de la province. Il s’agit de
ne pas les effaroucher, de telle façon qu’elles se sauvent, serrant
leurs pépins, hors du compotier de l’insondable Arthur.
Il faut leur donner l’illusion de l’opposition « irréductible » —
c’est le mot de la maison — sans courir les risques de cette
opposition.