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CHAPITRE IV


Un journal « bien pensant » sous la troisième République : Le Gaulois.
Une journée d’Arthur Meyer. — « Monsieur Schmoll ».
Le pauvre Desmoulins. — La bibliothèque de Meyer.
Pollonnais, Blum, Bloch, Picard, Lévy. — Mazereau et Foucher.
Le comte Fleury et les « mondanités ». — Le papa Duquesnel.
Louis Teste dans son testicoir. — Maurice Talmeyr. — Jean Rameau.
Doumic. — Une soirée chez Meyer. — Ombres chinoises.



J’ai collaboré au Gaulois pendant huit ans. Je suis loin de posséder tous les secrets administratifs de ce journal, destiné au public « bien pensant », comme dit Meyer, en baissant pudiquement les yeux. Néanmoins, j’ai des lueurs, et, en tout cas, la psychologie de cet homme habile m’est connue dans son ensemble, comme dans ses plus petites particularités. Il sait son métier. Comme un de ses collaborateurs téléphonait sur son ordre à un confrère, afin de le sonder sur une nouvelle présumée dangereuse, qui devait paraître le lendemain, Meyer impatienté s’écria : « Demandez-lui si ce papier passe en tête. — Non, monsieur. — Alors, il ne s’agit de rien d’important. » Autrement, en effet, l’article eût occupé la vedette. Ce n’est qu’un détail, mais significatif. Autre qualité : Meyer s’est toujours préoccupé de son numéro du lendemain, n’a jamais cessé de l’éplucher, de le combiner en vue de son public. Ce public est composé de poires conservatrices et libérales, les plus dodues, les plus juteuses de Paris et de la province. Il s’agit de ne pas les effaroucher, de telle façon qu’elles se sauvent, serrant leurs pépins, hors du compotier de l’insondable Arthur. Il faut leur donner l’illusion de l’opposition « irréductible » — c’est le mot de la maison — sans courir les risques de cette opposition.