Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/588

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Mazereau, philosophe et distrait, qui a entendu cent fois ses histoires et ne pense qu’à boucler le journal et à s’aller coucher. Le « Desmoulins » est là, tout prêt, conviant les électeurs à prendre leur revanche en 1910, puis en 1914 : « Je le connais, ce sacré article, il y a quarante ans que je l’écris ». Ainsi parle notre leader politique, de sa voix enfumée, déjà lointaine. Dans le testicoir. Teste le maniaque se frotte les mains, cependant qu’à côté de lui, le tromblon hérissé semble rire : « Ah ! que c’est bien fait !… Saperlipopette, que ça n’est pas volé !… Vous venez de les voir, chez Meyer… Ils en font des nez… Je suis joliment content depuis que je leur prédis ce qui leur arrive. Quels idiots, non, mais quels idiots ! Si Broglie n’avait pas écrit, et pensé surtout, en 1874, l’ânerie que je vous ai souvent citée, s’il s’était jeté à la gorge de Thiers, si Decazes, au lieu de dîner en ville ce jour-là, si… si… si… si… » Comme je sors, le chef des garçons de bureau, excellent homme, très convaincu, consulte avec navrement les derniers résultats publiés par l’Intransigeant, la Presse, éditions spéciales, et deux types inconnus et magnifiques discutent dans l’escalier.

« Je crois, moi, que les gens de notre monde n’ont plus d’espoir que dans les syndicats jaunes. L’avenir est là et non ailleurs. Biétry, voilà mon homme.

— … Ou encore dans une forme de scrutin qui libérera les capacités et mettra chacun à sa place.

— Vous n’y êtes pas, mon cousin, — déclare une lourde vieille dame, tout empêtrée dans son manteau rose, et qui monte goutteusement le raide escalier, — vous n’y êtes pas ! Ce qu’il faut à la France, c’est une poigne. »

Et elle tend sa grasse patte, gantée de blanc, comme spécimen de cette nécessité salvatrice.