Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/60

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deux premiers sont morts, hélas ! furent mes compagnons de jeunesse. Gustave Montégut, emporté tout jeune par une fièvre maligne, avait le don précoce des lettres et le sens poétique. Alphonse Montégut s’est fait une belle place dans le journalisme et a été pendant de longues années le collaborateur de Rochefort. Quant à Louis, c’était une nature de joie et de lumière, un personnage des féeries de Shakespeare. Joli garçon, blond et fin, insouciant des succès que lui valait très rapidement sa bonne mine, dessinateur, peintre et musicien, il a traversé la vie en chantant, d’une voix merveilleusement juste, en prodiguant autour de lui les soudains trésors d’une fantaisie ailée. Que de parties de rire dans son atelier de la rue des Beaux-Arts, au café d’en face, où il descendait quelquefois prendre ses repas en guerrier japonais, drapé d’une robe de Samouraï aux ramages étincelants, à Champrosay où lui et son ami Duret exécutaient à deux voix, sur la pelouse, une fois la nuit venue, des duos de Béatrice et Benedict, des chœurs de la Damnation de Faust ou des Troyens ou de Lohengrin, mieux conduits que par la baguette de maint chef d’orchestre.

Habituellement, cette gracieuse frénésie est en surface, cette faculté de métamorphose auditive et visuelle, cette gaieté se trouvent chez des natures cursives et mal fixées. Louis Montégut était en profondeur. En lui veillait et grandissait une foi catholique ardente, qui lui fit une fin exemplaire et sereine. Il était de ceux qui cherchent l’allégresse et rencontrent le grave, qui poursuivent la beauté sensible et atteignent la beauté morale. Ces dessous voilés de sa destinée donnaient par avance à ses expansions quelque chose de doux et d’harmonieux qu’on ne s’expliqua bien que plus tard. Il y avait en lui du Mercutio. Il était une fleur de courage qui poussait vite, en donnant ses parfums, devant un tombeau déjà ouvert.

Au troisième étage de la pharmacie, aménagé pour notre séjour, Alphonse, Louis, mon père et moi couchions dans quatre lits d’une même grande chambre et chacun devait raconter une histoire. Quand celle-ci devenait pathétique, Louis l’accompagnait d’un trémolo digne de l’Ambigu. Quand elle était comique et comportait ces locutions bizarres que sont les provincialismes de la langue d’oc transportés directement en français, nous ne pouvions plus nous arrêter de rire. En vain