Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/623

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dant la belle saison, nous dînions au Bois de Boulogne, qui n’est pas loin, et il n’y avait qu’à laisser parler, entre l’eau du lac et les étoiles, le plus vaste, le plus neuf, le plus hardi inventeur de ce temps, le trouvère incomparable Henry Vivier.

Cela commençait en général par une ellipse, accompagnée d’un petit rire et d’un rapide mouvement de l’œil, ce qu’on appelle un « trait » en éclair. Les hommes très éloquents ont souvent ce tic, comparable à une étincelle dans la région des couches optiques. On ne savait si notre sorcier tirait son préambule de la vie courante ou du rêve, et je crois qu’il extériorisait simplement son dialogue intérieur, méthodique et continu comme un chef-d’œuvre : « Il ne faut pas vous figurer, ma chère amie, ni toi, Léon, qu’il n’y ait qu’une guérison possible pour tel ou tel mal. La nature tend à guérir, comme elle tend à détruire, de tous les côtés. Les simples en sont la preuve, ainsi que les minéraux et les sérums, sans compter les interventions morales, dont nous n’avons encore qu’une vague notion, comme les navigateurs longeant, au crépuscule, une île inconnue… »

Ce début me plaisait d’autant plus qu’il rejoignait ma vieille conviction que les maladies mentales, nerveuses, et un grand nombre de troubles fonctionnels et organiques relèvent de ce qu’on a appelé la psychothérapie, ou plus exactement d’une cure de volonté. Tout le problème consistera à articuler cette volonté avec le corps qu’elle sculpte et domine, comme on articule l’objet à soulever et le levier qui le soulève. La volonté est un influx mental, réparti entre l’esprit et le muscle, entre la pensée et l’acte, et qui jette hardiment son filet jusque sur les images héréditaires. Il ne manque que la connaissance des commandes morales-corporelles sur lesquelles elle doit appuyer, pour réparer le dommage pathologique. J’ai commencé à essayer d’éclaircir cela dans l’Hérédo mais je ne voudrais pas mourir sans avoir donné, là-dessus, toute ma pensée et le résultat de mon auto-expérience. Si Vivier avait vécu, ce serait déjà fait, car il aurait mis mon affaire au point, en la dépassant de tout son génie.

Il pensait que les grands médecins, tels que Sydenham — un de ses préférés — ont tout entrevu et qu’il y avait en eux une constitution analogue à celle des plantes qui guérissent, une