Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/624

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affinité pour tel ou tel remède : « Sydenham connaissait l’opium, profondément inconnu, et comme déchaîné depuis sa mort. J’enrage de voir tourner au mal, faute d’un maître cuisinier, une aussi merveilleuse puissance, un pareil ennemi de la douleur ». Son avis était que l’opium, engourdissant toute souffrance, physique ou morale, fait pencher d’abord l’esprit vers la joie — d’où l’euphorie au début de l’intoxication — puis, à la longue, engourdit la joie à son tour et amène en nous les ténèbres. Il fallait donc, non se passer de lui, mais en quelque sorte le domestiquer, l’humaniser : « C’est ce qu’avait compris Sydenham. C’est ce qu’il n’a pas complètement réalisé, car le laudanum n’est qu’un commencement d’apprivoisement de l’opium ».

De même pour l’alcool : « Sans lui, — disait Vivier en montrant un petit verre de bonne eau-de-vie, — je serais mort depuis longtemps. Il y a des tempéraments auxquels un brin d’alcool est nécessaire, comme courte flamme de phlogistique en supplément. L’alcool est l’arbre du bien et du mal. Après avoir méconnu ses dangers, on ne veut voir maintenant que le mal, on veut le supprimer comme remède. C’est idiot. J’affirme que, chez certains tuberculeux, à doses calculées avec soin, il peut rendre d’immenses services, comme l’arsenic et comme le fer. Mais où est-il le thérapeute sage qui sait jouer, en un rationnel équilibre, du fer, de l’arsenic et de l’alcool ? »

Il avait fait une étude spéciale de la strychnine et l’associait à la caféine, quand il s’agissait de relever le cœur, selon un dosage qui terrorisait les pharmaciens : « À la vue de mon ordonnance, ils deviennent tout pâles et déclarent que je me suis trompé. J’ai l’habitude. J’insiste par un mot, que la femme de chambre leur porte en tremblant. Alors ils s’exécutent et, en général, ma solution salvatrice arrive à temps ». En effet, la défaillance du cœur, notamment dans les affections pulmonaires — le muscle creux ayant alors un travail triple — et chez les vieillards, est une cause très fréquente de mort soudaine. Trop de médecins s’occupent, en ce cas, du poumon, quand c’est le cœur qu’il faut secourir. « Mes confrères ont une fâcheuse tendance à constater la mort sans l’étudier. Subite, ou précédée d’une agonie de durée variable, elle demeure pleine d’enseignements. »