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SALONS ET JOURNAUX

tournantes, d’intersignes, qui ne faisaient de mal à personne. Joseph Ménard, quand il était du clan anti-méryste, allait répétant que cette revue attirerait sur la Libre Parole les foudres romaines, puis, quand il redevenait méryste, c’est-à-dire, chaque six mois, absolvait la même publication. Je parle de cet Écho, parce que je me rappelle vaguement qu’un certain Nébo, ou Némo, y avait annoncé, plusieurs années à l’avance, le coup d’Agadir pour 1911 et la guerre européenne pour 1914. Ces articles m’avaient frappé par leur tour original et leur accent de sincérité. Ils se sont réalisés de point en point.

L’anniversaire de la fondation du journal était fêté en général au bois de Boulogne, dans un déjeuner plantureux. Le député bonapartiste Lasies prenait la parole au dessert. Je revois sa fine silhouette, ses moustaches dressées vers le ciel. J’entends sa voix de cuivre aux nuances railleuses, son accent gascon. Le parlementaire était chez lui corrigé par le militaire, le tout enrobé dans un napoléonisme désuet et touchant, beaucoup moins accablant et poussiéreux que celui de Frédéric Masson, ou du bon Delafosse. Néanmoins l’ennui que dégage l’Empire est tel qu’au bout de quelques minutes l’attention se dissipait et les conversations particulières reprenaient, cependant que Lasies, le doigt en avant, continuait à piquer le soleil d’Austerlitz et à chatouiller le Deux Décembre. Nous revenions par groupes sympathiques, mais antipathiques les uns aux autres : « Ah ! vous n’avez pas eu de café, disait Méry… Eh bien, c’est que votre nez déplaît à Devos ». L’invité non prévenu était d’abord un peu interloqué de cette explication, puis, croyant à une petite blague, il riait de bon cœur. Cependant que Thiébaud, tout chaud encore d’une improvisation en réponse à Lasies, reprenait son antienne du décloisonnement du suffrage universel, et du plébiscite à tous les degrés : « Mais, mon cher monsieur, ne me parlez ni des rouges ni des blancs, qui se déchirent depuis cent vingt ans. Je ne veux connaître que les bleus. Je veux que le blanc et le rouge se fondent dans le bleu et je prédis, à celui qui opérera cette fusion, une gloire immortelle ». Pauvre Thiébaud, il pensait bien qu’il avait été créé et mis au monde pour opérer ladite fusion, mais il était le seul de cet avis. J’imaginais toujours, tandis qu’il pérorait à mon côté, une Fortune lui tournant le dos.