Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/154

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patte et me contemple, souriant de bonté espiègle.

Par ce froid terrible, les enfants apportent des têtes violacées et pochées d’ivrognes pleurards. Des petites filles clopinent raidies, cassées en deux comme des vieilles, les mains ramenées au creux de l’estomac, un panier au coude, au lieu de cabas. Je dénoue les grands fichus de laine attachés derrière le dos ; des avortons allongent leurs mains tuméfiées devant mon tablier bleu, comme ils les approcheraient d’un poêle brûlant.

Dans le bruit grandissant des galoches et des nez mouchés, j’étais dolente, le cerveau usé, le cœur fondant, sans aucune envie de critiquer. J’avais froid aussi ; le préau et les classes ne s’attiédissent à dix degrés que vers neuf heures et les seize degrés réglementaires, on ne les obtient que le soir, parce qu’il faut aérer à chaque sortie des classes, quelle que soit la température.

Bonvalot « radine » sans hâte, le visage plus coupant que d’habitude, l’air d’un condamné qui ne veut pas trembler. Des bambins mal éclos n’ont que leur tablier et une robe au ras du derrière ; quand ils se baissent, quand ils s’asseyent, on voit bleuir des coins de chair et leur mine piteuse, étonnée, dit qu’ils ne savent pas au juste d’où ils souffrent, ni pourquoi ils souffrent.

Les voix gelées sont affaiblies, les toux sont grossies. Lorsque je fourgonne le feu, une trentaine de tout petits me surveillent avec avidité : ils attendent que je leur procure la chaleur, comme ils attendent que je distribue les gamelles.