Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/110

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Le souverain est donc le chef d’une famille, le père de ses peuples. Cette comparaison revient à satiété, non seulement chez Frédéric II, mais chez les écrivains politiques du temps, K. Fr. von Moser, par exemple. Le père a tous les droits sur ses enfants, mais il n’en use que pour leur bien ; de même le souverain, investi d’un pouvoir absolu, l’emploie au bonheur de ses sujets, qu’il aime comme un père. Quelle ironie, si l’on jette les yeux sur les « despotes éclairés » qui fourmillaient alors en Allemagne, types de vanité grotesque et de vice grossièrement raffiné ! Frédéric n’était pas non plus pour ses sujets un père bien tendre ; mais, au moins, s’il épuisait son peuple, ce n’était pas pour bâtir des châteaux, entretenir un harem ou monter des opéras. Il passe vite sur le contraste entre la théorie idyllique du despotisme éclairé, et la tyrannie trop réelle de la plupart de ses voisins. « Si bien des princes, dit-il, ont une conduite différente, il faut l’attribuer au peu de réflexion qu’ils ont fait sur leur institution et sur les devoirs qui en résultent[1]. » Maigre consolation, semble-t-il, pour les Saxons, les Hessois, et tant d’autres victimes de maîtres avilis et prodigues.

Aussi bien Frédéric II sent que là est le point faible de la théorie, et il s’efforce de prouver que l’intérêt du prince ne peut se séparer de celui des sujets, qu’ils ne peuvent être heureux ou malheureux qu’ensemble[2]. « Il n’y a qu’un bien, qui est celui de l’État en général. Si le prince perd des provinces, il n’est plus en état comme par le passé

  1. Œuvres. IX. p. 210.
  2. Ibid., p. 200.