Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/119

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tera les traités… Je réponds à cela que les garanties des temps modernes sont des châteaux de filagramme (sic) » ; et il conclut, comme d’habitude : « Le moyen le plus sûr et dont on est le maître, c’est d’avoir une bonne et forte armée sur pied, et les finances bien pourvues[1]. »

Dans sa pensée, un traité n’engage jamais que conditionnellement ceux qui le signent : il y a toujours une clause résolutoire sous-entendue, dont Frédéric excellait à faire usage. « Vous ajouterez, écrit-il à un de ses ambassadeurs, qu’il n’y a aucune alliance et lien dans le monde, qui puisse être regardé comme valide, si les intérêts communs et réciproques ne le forment ; que de même dans tout contrat, dès que tout l’avantage est d’un côté, et rien de l’autre, cette disparate rompt l’engagement[2]. » Dans l’Histoire de mon temps[3] (1746), Frédéric est encore plus explicite. « Le premier devoir du souverain, dit-il en substance, est d’assurer le bonheur de ses peuples. Dès qu’il aperçoit un danger pour eux dans un traité, il doit donc le violer, à regret, mais sans hésiter. Le prince se sacrifie alors pour le bien de ses sujets… Voyez l’histoire : on n’a jamais pu faire autrement. Ceux qui condamnent impitoyablement cette conduite ont raison en théorie. Comme homme privé, je suis de leur sentiment, car un homme doit tenir sa parole, même s’il lui en coûte. Mais un prince qui s’oblige n’oblige pas que lui. Il expose de grands états, des provinces entières à une infinité de maux. Par conséquent, il

  1. Corr. pol., III, p. 35-40.
  2. Ibid, IV, p. 67.
  3. Édition M. Posner, Leipzig, 1888, dans l'Avant-Propos.