Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/132

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et écrit sans profit pour le bien de l’État où il vit. Ce livre ne saurait donc être tout à fait inutile que si tous les sujets du roi sont déjà déterminés et prêts à sacrifier leur vie pour lui et pour l’État. Ah ! plaise au ciel que j’aie entrepris un travail inutile ! » Abbt démontre ensuite que l’amour de la patrie est un sentiment aussi légitime, aussi nécessaire, aussi fort dans une monarchie que dans une république.

On voit qu’il a lu et étudié Montesquieu, quoiqu’il ne paraisse pas concevoir d’autre forme de la monarchie que le « despotisme éclairé ». D’ailleurs, selon lui, la nation prussienne ne fait qu’un avec son roi. Dès qu’il est question de Frédéric II, la prose d’Abbt devient lyrique. « Quel est donc cet homme dont les traits sont cachés, comme sous un masque, par la sueur et la poussière, et sur qui la patrie s’appuie ? Aucun signe extérieur ne le distingue… C’est mon roi ! Il arrête la ruine de la patrie, il la soutient au milieu de l’admiration de tous les peuples. Autour de lui se tiennent ses valeureux soldats, autour de lui gisent les nobles guerriers qui sont tombés à ses pieds en combattant[1]. » La patrie, c’est la Prusse, et la Prusse seulement. Pas une seule fois le nom de l’Allemagne n’est prononcé. Abbt ne semble pas se douter que la guerre de Sept ans soit une guerre civile. Gleim, loin de déplorer la guerre fratricide entre la Prusse et l’Autriche, insultait à la défaite de Marie-Thérèse. On raconte même que Lessing, en imprimant les poésies de Gleim, en adoucit un passage trop dur pour la reine de Hongrie.

  1. Vom Tode für’s Vaterland, p. 98-99.