Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/136

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de Frédéric II. Le roi avait exprimé le désir de voir Rabener, qui, dans un entretient avec le prince Henri de Prusse, avait pris résolument la défense de la littérature allemande contre le préjugé français. Mais Rabener déclina l’invitation et refusa de se laisser présenter à Frédéric II par un Français, le marquis d’Argens, ami du roi. « Je suis bien fâché, monsieur, écrivait-il, que je sois trop allemand, et M. le marquis d’Argens trop français, pour que je puisse profiter de la permission de rendre mes respects à ce savant, d’autant plus estimable qu’il est peut-être le seul de sa nation qui permette à nous autres Allemands d’avoir de l’esprit. Mais, au comble de mon malheur, je me vois par cette même raison tout à fait privé de l’honneur d’être présenté par M. le marquis au roi. » Là-dessus Rabener négocia, comme il le dit, pendant quinze jours avec Frédéric II, qui consentit à la fin à le recevoir selon son désir[1].

Autre grief, plus pénible encore : Frédéric II n’était pas chrétien. Pour cette génération formée à l’école du pieux Wolff, pour ces écrivains dont beaucoup étaient fils de pasteurs et demeuraient fidèles à la foi de leur enfance, quelle tristesse, quel scandale que de voir le plus grand prince de l’Allemagne se complaire dans l’irréligion, et vivre familièrement avec des impies et des athées ! Fallait-il qu’il fût à la fois si soucieux de ses devoirs de roi, et si oublieux de ses devoirs de chrétien ! Ces écrivains se seraient résignés, sans trop de peine, à rester ignorés de lui : la distance était si grande

  1. Biedermann, II, 2, 17.