Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/175

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s’en délivrer, en se corrigeant. « Tout est bien, sortant des mains de l’auteur des choses ; tout dégénère entre les mains de l’homme. » Cette première phrase de l’Émile exprime à merveille l’optimisme propre à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Si seulement les hommes savaient être sages et vertueux, la paix régnerait dans l’univers. Herder, qui avait été un des plus fervents disciples de Rousseau, affirme que les mots de guerre et de patrie jurent d’être accouplés. « Des patries engagées contre des patries dans une lutte sanglante, écrivait-il encore en 1794, c’est le pire barbarisme des langues humaines[1]. » Il ne veut admettre que les luttes pacifiques dans les arts de la paix, que la rivalité féconde des peuples pour le progrès et la civilisation. Kant, de son côté, montrait dans la paix universelle le but lointain, mais non inaccessible, vers lequel marche l’humanité. L’idée de Leibniz, — une idée chrétienne, — persiste à travers les leçons de Rousseau : l’harmonie est le vrai fond des choses, la justice et le bien sont les forces qui, en fin de compte, dirigent l’univers. C’est seulement au commencement de notre siècle que Malthus publiera son livre de la Population. Darwin y prendra, de son propre aveu, l’idée mère de sa philosophie naturelle, l’idée de la sélection naturelle et de la concurrence vitale. Peu à peu, l’idée d’une lutte pour l’existence, universelle, impitoyable, deviendra aussi familière que l’était auparavant l’idée de l’harmonie des êtres. Les faits politiques, sociaux, économiques, semblent confirmer la loi, et

  1. Œuvres, XVII, p. 319.