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disparues, des caractères divers des périodes historiques et de la physionomie propre de chaque peuple.

Herder applique ces idées nouvelles à la critique de la littérature allemande, qui est l’objet tout particulier de sa sollicitude. Autant il se montre indifférent aux intérêts matériels ou politiques de l’Allemagne, autant il prend souci de sa grandeur littéraire. Déjà dans les Fragments sur la littérature contemporaine, qu’il écrivit à Riga et qui fondèrent sa réputation, il veut déterminer à quel point en est arrivée la littérature allemande, juger son passé, éclairer son avenir, lui épargner les faux pas et les erreurs. Une idée générale relie ces fragments décousus en apparence : c’est qu’il est grand temps que l’Allemagne reprenne conscience de son originalité. Aussi Herder ne conseille-t-il pas, comme le fera encore Frédéric II, que l’on traduise les chefs-d’œuvre des autres nations pour se les assimiler. Une œuvre, même médiocre, mais sortie spontanément du génie de l’Allemagne, vaudra mieux que la meilleure traduction d’un excellent ouvrage étranger.

À plus forte raison, Herder condamne-t-il la fureur d’imitation qui avait si longtemps régné en Allemagne. Les uns s’attachaient à des modèles français, d’autres à de Foë ou à Richardson, d’autres enfin à la poésie grecque ou orientale. Tout cela est artificiel, sans chaleur, sans âme, mort avant d’avoir vécu. Quoi de plus désolant qu’une imitation allemande de la Henriade ? « Quand le public allemand, s’écrie Herder, cessera-t-il d’être ce monstre à trois têtes de l’Apocalypse, à la fois grec, français