Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/186

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littérature nationale, qu’elle ait creusé l’abîme entre les hautes et les basses classes, et qu’elle ait accoutumé l’Allemagne à l’intervention continuelle de l’étranger dans ses affaires. Le mal est plus profond. En elle-même, la langue française était un poison pour l’esprit allemand. Car cette langue si fine, si agile, si claire, est le plus pur produit du génie de la France. Il s’exprime par la logique de la phrase, il se décèle dans les moindres tournures. La perfection même de ce langage veut qu’il ne se prête vraiment qu’à des sentiments, qu’à des idées françaises. Qu’arrivera-t-il si des Allemands se mettent en tête de ne vouloir parler et écrire qu’en français ? Ils s’exprimeront mal, et ce n’est que ridicule ; mais, ce qui est plus grave, l’usage malheureux d’une langue qui ne leur est pas naturelle faussera leur esprit et leur cœur. Leur pensée, au lieu de jaillir sous la forme qui lui serait propre, entrera péniblement dans un vêtement qui la gêne. On ne se soumet pas impunément à une transposition continuelle de ses sentiments et de ses idées. L’impropriété de l’expression entraîne l’affaiblissement et même l’hypocrisie de la pensée. Aussi que de sottises, que de faux sentiments dans les correspondances françaises des Allemands au XVIIIe siècle ! Gœthe aussi regrettait, pour la gloire de ses compatriotes, que l’on eût publié tant de ces lettres, qui disent si peu de chose et qui le disent si mal.

Il y a sans doute beaucoup de finesse dans l’analyse psychologique de Herder : mais ne veut-il pas trop prouver ? L’illustre exemple de Frédéric II suffirait à démontrer qu’un Allemand peut fort