Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité[1] ». Il est naturel que chaque peuple trouve dans sa propre langue des raisons de la préférer aux autres, et nous ne chicanerons pas Herder sur ce point-là. Ce que nous voulons retenir, c’est qu’ici encore ce cosmopolite si peu soucieux des intérêts politiques de l’Allemagne prépare des arguments aux futurs patriotes, et même aux futurs gallophobes.

Herder se rendait bien compte de l’état politique de l’Allemagne. La décrépitude de l’Empire frappait les yeux les plus indifférents. « Tout y est divisé, dit-il, et tant de circonstances favorisent cette division : les religions, les sectes, les dialectes, les provinces, les gouvernements, les mœurs et les droits[2]. » Le tableau est exact en peu de mots. À un patriote préoccupé des questions politiques, la situation eût paru des plus alarmantes. Herder reconnaît parfois que l’Allemagne en souffre ; mais le plus souvent il ne s’y arrête pas, et il paraît en prendre aisément son parti. Au fond, cette considération est secondaire à ses yeux. L’Allemagne qui est sa patrie, et qui seule l’intéresse, c’est une Allemagne idéale en quelque sorte, qui ne dépend point des hasards des guerres et des traités. Même dans la situation présente, on peut travailler à unir les provinces allemandes (Herder emploie volontiers ce terme assez impropre) par des liens spirituels, qui sont les plus forts de tous. Pour cette œuvre commune, il n’est besoin ni de gouvernement central, ni de capitale unique. La vie nationale ne gagnerait rien à être concentrée en un seul point.

  1. De l’Allemagne, p. 66-67.
  2. Herder, Briefe zur Beförderung der Humanität, 1793, éd. Suphan, XVIII, p. 24-27.