Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/196

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faut plus s’attendre à rencontrer la bonne foi sur son chemin. Kant voit dans le mensonge le type même du mal moral et de la dégradation, l’avilissement de la personne humaine. Et d’où vient cette horreur caractéristique pour toute tromperie, toute fourberie, même dans les mots, même innocente ? C’est que le respect de la vérité est la base de la moralité. Or la nature allemande est avant tout essentiellement morale. « Par là, dit Herder, l’Allemand se distingue de toutes les autres nations. » Les autres peuples peuvent supporter et entretenir en eux-mêmes une certaine immoralité. Ils ont l’habileté de la déguiser, de l’orner, de la transformer enfin de telle sorte qu’ils en vivent, ou du moins qu’ils s’y accommodent. L’Allemand ne le peut pas. Sa nature intime répugne trop à l’immoralité pour qu’il en invente jamais une forme qui lui soit longtemps supportable. « Rien ne serait plus anti-allemand que si la moralité devenait, chez nous aussi, un objet de dérision. Il nous manque l’esprit, il nous manque une nature légère, il nous manque un beau ciel pour rendre l’immoralité tolérable et agréable. La débauche allemande a toujours été grossière, parce que la débauche ne va pas à notre climat, à notre façon de vivre, à notre nature en général[1]. »

Henri Heine s’est moqué spirituellement de ce brevet de vertu que ses compatriotes se décernaient à eux-mêmes, et que Mme de Staël a contresigné. À vrai dire, le portrait tracé par Herder n’est guère réaliste, et la moralité allemande, au XVIIIe siècle,

  1. Œuvres, XVIII, p. 125.