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gation d’effectuer un choix », assure Hering. Mais si, il faut choisir, au contraire. Toute la force, toute l’importance de l’œuvre de Husserl tiennent précisément à ce qu’il a vu la nécessité de ce choix et à ce qu’il a eu l’audace de choisir. Jusqu’à lui les philosophes toléraient la sagesse où bien même lui marquaient une certaine bienveillance. Personne n’osait émettre des doutes sur ses droits, sanctifiés par les siècles. Mais Husserl ne craignit pas de commettre ce sacrilège et de prononcer à voix haute ce que les autres n’osaient même pas s’avouer à eux-mêmes… Hering, lui, comme s’il avait honte pour Husserl, essaye de le disculper.

Je ne puis reproduire encore une fois les passages de Philosophie als strenge Wissenschaft et des autres ouvrages de Husserl, que j’ai déjà cités dans mon article Memento mori. Ceux de mes lecteurs qui voudront bien se référer à cette étude constateront, que c’est ainsi précisément que Husserl avait posé la question : il n’y a pas d’autre issue ; il faut choisir entre la philosophie et la sagesse, mais celle-ci a fini son temps, tout comme l’astrologie et l’alchimie.

Mais allons plus loin : « pour la raison que leur spécialité — que ce soit la chimie ou la philosophie ne s’occupe pas de ces questions ». Hering considère que les questions qui étaient jusqu’ici du ressort de la sagesse, ne concernent pas le philosophe, de même qu’elles ne concernent pas le chimiste, car elles ne sont pas du domaine de sa spécialité (il dit même : « de sa modeste spécialité »). Telle est aussi, soi-disant, l’opinion de Husserl. Cependant il affirme tout le contraire ; il dit que la philosophie, « c’est la science des vrais principes, des sources, des ῤιξώματα πάντον. » Et encore « La science a dit son mot. Dès cet instant la sagesse est obligée de s’y conformer. » En dehors même des citations qui figurent déjà dans Memento mori, ces phrases montrent suffisamment que Husserl ne consentira jamais à ce modeste rôle de spécialiste que lui assigne Hering (d’ailleurs, y eut-il jamais un grand philosophe qui brillât par la modestie ?) et ne voudra pas admettre les droits traditionnels de la sagesse. L’audace presque provocante et la décision de Husserl, effrayent bien des gens qui considèrent qu’un compromis, si mauvais qu’il soit, est toujours préférable à la guerre ouverte ; ils essayent donc de réduire autant que possible la portée des paroles de Husserl ; mais lui-même n’est nullement enclin à la paix : « Dans toute la vie contemporaine, il n’y a pas d’idée qui soit plus puissante,