Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/56

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qu’il eût signée sans réserve, et il est vrai qu’il n’est presque jamais d’accord avec les Anglais ; mais on retrouve là précisément un des traits du caractère de Nietzche : ses adversaires ont beaucoup plus d’influence sur lui que les philosophes qui soutiennent des théories analogues aux siennes. Il écrit toujours contre quelqu’un. Il ne parle guère de la Grèce sans attaquer Socrate ; de même, il n’étudie guère la généalogie du bien et du mal sans réfuter les Anglais ; mais c’est malgré tout à leur école qu’il se rattache dans sa deuxième période ; il se propose comme eux de faire la « chimie des idées et des sentiments[1] » Il oppose à la métaphysique la philosophie historique, la plus jeune de toutes les méthodes philosophiques, qu’on ne peut plus séparer aujourd’hui des sciences naturelles.

Pour Stirner, l’égoïsme est une règle d’action ; pour Nietzsche, il est avant tout un objet de science. Quand, par exception, Nietzsche conseille de se préoccuper d’abord de l’intérêt personnel, les raisons qu’il en donne n’ont absolument rien de commun avec les arguments de Stirner. Tandis que Stirner, en effet, estime que tout souci de l’intérêt général est une duperie, Nietzsche considère comme prouvé — et il est bien difficile de ne pas voir ici l’influence de l’école anglaise — qu’il y a harmonie préétablie entre l’intérêt personnel et l’intérêt général, de sorte que

  1. Nietzsche, Menschliches Allzumenschliches, II, 17.