Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/57

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c’est précisément la conduite rigoureusement personnelle qui répond le mieux à notre conception actuelle de la moralité fondée sur l’intérêt général[1].

Il y a d’ailleurs dans l’Unique et sa propriété une deuxième définition de l’égoïsme qui est plus originale que la première. Ma conduite ne doit pas seulement être égoïste en ce sens que tous mes actes doivent se rapporter consciemment à mes fins personnelles ; elle doit encore être vraiment mon œuvre, en ce sens qu’elle doit manifester l’autononomie du moi créateur. Stirner considère que c’est l’autonomie (Selbstbestimmung) qui fait la dignité de l’homme ; il ne doit subir l’influence ni d’un objet, ni d’une personne, il doit être le créateur de lui-même[2]. L’homme égoïste au sens vulgaire du mot (der Selbstsüchtige) veut posséder l’objet de son désir ; il ne cherche pas à se donner à lui-même une certaine forme, à se modifier lui-même ; il reste tel qu’il est. L’homme qui aime est souvent transformé par son amour, car il efface en lui tout ce qui ne convient pas à l’objet aimé ; il est donc en un sens son propre créateur, mais il dépend encore d’autrui ; il s’adapte à autrui, il est encore passif. L’homme libre, au contraire, ne réalise que sa propre volonté. L’homme égoïste n’est qu’une créature, un objet naturel ; l’homme qui aime est déjà une œuvre,

  1. Ibid, II, 96.
  2. Stirner, Kleine Schriften, p. 76.