Page:Lévy - Stirner et Nietzsche.djvu/70

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gences, mais encore il ne considérait pas tels ou tels actes comme moraux en soi : la fin justifiait les moyens et la bénédiction du prêtre conférait le caractère sacré aux choses temporelles. Pour le protestant, au contraire, les institutions et les actes sont par leur nature même sacrés ou profanes, permis ou coupables. Feuerbach n’a fait que définir la conception du protestantisme éclairé quand il dit « Est sacrée et te soit sacrée l’amitié, sacrée la propriété, sacré le mariage, sacré le bien de tout homme, mais sacré en soi et pour soi[1]. » C’est ce caractère sacré et intangible de la morale que Stirner considère comme incompatible avec le progrès, avec le libre développement de l’individu : comme Bruno Bauer et la gauche hégélienne, il voit la liberté se manifester dans le mouvement.

Nietzsche considère, comme Stirner, que les idées morales ne sont pas stables. Une action n’est morale ou immorale que par son rapport à l’ordre des biens ; or l’ordre des biens n’est pas constant. L’échelle qui nous sert à mesurer est variable, et la postérité considérera sans doute nos actions et nos jugements comme bornés, de même que nous considérons aujourd’hui comme bornés les actions et les jugements des peuplades sauvages[2]. C’est bien ainsi que raisonnait Stirner quand il déclarait qu’à ses yeux la loi

  1. Stirner, Der Einzige, p. 109 et Feuerbach, Wesen des Christentums, p. 408.
  2. Nietzsche, Werke, II, 110.