Page:L’Œuvre, numéro 6532, 19 août 1933.djvu/7

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mes de la tribu ne survécut pour voir le soleil reparaître au printemps. Ça, c’était une famine !



Mais il avait vu aussi des années d’abondance où ils ne savaient que faire de la viande, où les chiens repus et alourdis de graisse n’étaient bons à rien, où on laissait passer le gibier sans l’abattre, où les femmes étaient fécondes et les tentes bourdonnantes des cris des enfants mâles et femelles. C’est alors que les hommes bombaient la poitrine et que se réveillaient les vieilles querelles ; c’est alors qu’ils franchirent les montagnes du sud pour tuer les Pellys, et celles de l’ouest pour s’asseoir près des feux éteints des Tananas. Il se souvint, étant enfant, pendant une de ces années de cocagne, d’avoir vu un grand élan abattu par des loups. Zing-ha était couché avec lui dans la neige pour regarder — Zing-ha, qui devint le plus rusé des chasseurs et qui, plus tard, tomba dans un évent à travers la glace du Yukon. On le retrouva un mois après, raidi par la gelée et à moitié figé dans le glaçon, gardant l’attitude qu’il avait prise en essayant de sortir du trou.

Revenons à l’élan. Ce jour-là, Zing-ha et lui étaient allés jouer à la chasse à l’instar de leurs pères. Dans le lit du ruisseau, ils trouvèrent la trace d’un grand élan, et celles de plusieurs loups. « C’est un élan moose ! » cria Zing-ha, qui était plus vif à interpréter les signes, — un vieux qui n’a pas pu suivre le troupeau. Les loups lui ont coupé la retraite pour l’isoler et ne le lâcheront plus ». C’était vrai ; c’était leur tactique habituelle. Jour et nuit, sans repos ni trêve, grondant sur ses talons, lui sautant au mufle, ils le harasseraient jusqu’au bout. Comme Zing-ha et lui sentaient croître en eux-mêmes la soif du sang ! La fin vaudrait la peine d’être vue.

D’un pied hardi, ils prirent la piste, et Koskoush, si étourdi et inexpérimenté qu’il fût encore, aurait pu la suivre les yeux fermés, tant elle était large. Chaudement et de près ils poursuivaient la chasse, lisant la sombre tragédie fraîchement inscrite à chaque pas. Ils arrivèrent à un endroit où l’élan avait tenu tête à la horde. Sur une longueur triple de celle du corps d’un homme adulte, dans tous les sens, la neige avait été piétinée et