Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 1.djvu/38

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Il soupire et gémit, non qu’il se soucie d’avoir les pieds et les bras brisés et rompus, mais seulement par vergogne. Durant toute sa vie, ni avant, ni après, il n’eut le visage si rouge. En outre de sa chute, ce qui le fâchait, c’est que ce fut sa dame qui lui enleva ce grand poids de dessus les épaules. Il serait resté muet, je crois, si celle-ci ne lui avait rendu la voix et la langue.

« Eh ! — dit-elle — seigneur, ne vous tourmentez pas ; de votre chute, la faute n’est pas à vous, mais à votre cheval, auquel repos et nourriture convenaient mieux que joute nouvelle. Quant à ce guerrier, sa gloire n’en sera pas accrue, car il a donné la preuve qu’il est le perdant. Cela me semble en effet résulter, selon ce que je sais, de ce qu’il a été le premier à abandonner le champ de bataille. »

Pendant qu’elle réconforte le Sarrasin, voici venir, le cor et le havresac au flanc, et galopant sur un roussin, un messager qui paraît affligé et las. Dès qu’il fut près de Sacripant, il lui demanda s’il n’avait pas vu passer par la forêt un guerrier à l’écu blanc, avec un blanc panache sur la tête.

Sacripant répondit : « Comme tu vois, il m’a ici abattu, et il vient de partir tout à l’heure ; et pour que je sache qui m’a mis à pied, fais que par son nom je le connaisse encore. » Et le messager à lui : « Je te donnerai sans retard satisfaction sur ce que tu me demandes. Il faut que tu saches que c’est la haute valeur d’une gente damoiselle qui t’a enlevé de selle.