Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/146

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L’onde ennemie et le vent toujours plus féroce ont brisé le gaillard d’arrière et la galerie. Le pilote fait couper et jeter à la mer les débris que l’ouragan laisse debout. L’un, dans sa cabine, se tient courbé sur la carte, cherchant, à la lumière d’une petite lanterne, le chemin à suivre ; l’autre visite la cale avec une torche.

Celui-ci se tient à la poupe, celui-là à la proue, devant la clepsydre, et regarde, à chaque demi-heure, combien on a fait de chemin, et quelle direction l’on suit. Puis, tous les matelots sont réunis sur le pont du navire, où ils tiennent conseil sous la présidence du patron, et donnent chacun leur avis.

L’un dit : « Nous sommes arrivés sous Limisso, si j’en juge par les bas-fonds. » L’autre soutient qu’on est près des rocs aigus de Tripoli, où la mer brise la plupart des navires ; un troisième s’écrie : « Nous courons nous perdre sur la côte de Satalie, objet d’effroi et de regrets pour plus d’un nocher. » Chacun parle selon son opinion ; mais tous sont oppressés et tourmentés d’une même crainte.

Le troisième jour, le vent les secoue avec plus de violence, et la mer frémit encore plus furieuse ; une lame brise et emporte le gouvernail ; une autre enlève d’un même coup la barre et celui qui la tient. Il faudrait avoir le cœur de marbre et plus dur que l’acier, pour ne pas être effrayé à un tel moment. Marphise, qui jusque-là n’avait jamais connu la crainte, a avoué, depuis, que ce jour-là elle eut peur.