Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’Ogre ne te sente et ne te dévore. Aussitôt qu’il revient, il flaire tout autour de lui, et découvrirait jusqu’à une souris, si elle était dans la maison. »

« Le roi répondit qu’il ne voulait point partir avant d’avoir revu sa Lucine, et qu’il aimait mieux mourir près d’elle que d’en vivre séparé. Quand la femme de l’Ogre vit que tout ce qu’elle lui disait ne pouvait le détourner de son dessein, elle chercha à l’y aider, et y appliqua toute son industrie, toute son imagination.

« De tout temps on avait tué, dans la grotte, des chèvres, des agneaux et des boucs dont la femme de l’Ogre et ses compagnes faisaient leur nourriture. Plus d’une peau pendait au plafond. Elle prend la dépouille d’un bouc dont les boyaux étaient tout entourés de graisse, et dit au roi de s’en frotter de la tête aux pieds, afin que cette odeur fît disparaître celle qu’il avait auparavant.

« Et quand il lui semble qu’il exhale suffisamment l’odeur que le bouc a l’habitude de répandre, elle le fait entrer dans la peau poilue, laquelle était assez grande pour le recouvrir tout entier. Une fois sous cet étrange déguisement, elle le fait mettre à quatre pattes, et l’entraîne à l’endroit où un rocher énorme fermait l’entrée de la caverne qui lui dérobait le suave et doux visage de sa dame.

« Norandin obéit et se place à l’entrée de la caverne, attendant le retour du troupeau et espérant pouvoir se mêler à lui. Le soir venu, il entend le son du chalumeau avec lequel le féroce