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Page:L’Ermitage - 1906, tome 2, juillet-décembre.djvu/182

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pas. J’ai soupé avec Clément, et sa femme qui étoit grosse : il espéroit un garçon. Je ne pouvois que le lui souhaiter.

Il me laissa seul avec sa femme et ce fut une grande politesse ; mais dans ce moment là je l’ai trouvée trop bourgeoise. J’ai passé une heure très agréable mais rien qu’en causant : Mariuccia étoit pleine de son bonheur, et croyant de me le devoir, elle pouvoit s’empêcher d’aimer son auteur, mais non pas de l’adorer. Ce sont des sentimens de la nature, qui ne coûtent rien ; mais dans le plus il y a le moins. Je voyois Mariuccia à mes ordres ; mais je ne voulois que Guillelmine. Elle me dit que sa tante l’avoit laissée avec Jacomine. Elles sont là-haut me dit-elle, couchées dans le même lit. Je suis sûre qu’elles dorment très profondément : voulez-vous que nous allions les voir ? — Allons ; mais il ne faut pas les réveiller.

Nous y allons en pointe de pieds. Je vois deux lits : dans un, dormoient ses deux filles cadettes ; dans l’autre je vois Guillelmine et ma fille, toutes les deux endormies sur leur dos, toutes les deux jolies et animées par des roses qui souvent ne brillent sur les joues d’une jeune fille ou d’un garçon que quand il dort. La couverture laissoit voir les poitrines des deux tendrons. Celle de ma fille étoit demeublée ; mais l’autre ressembloit aux bosses qu’on voit sur la tête d’un veau qui est à la veille de pousser des cornes. On ne voyoit ni leurs mains, ni leurs avant-bras. Quelle vision ! Quel prestige ! Mariuccia rit de mon admiration ; mais elle veut l’augmenter. Elle prend sur elle de soulever lentement la couverture, et elle étale à la convoitise de mon âme dans deux charmans simulacres un tableau que pour être nouveau il suffisoit que je ne puisse pas m’y attendre. Je vois les deux innocentes qui ayant un bras étendu chacune sur leur propre ventre tenoient la main un peu courbée sur les marques de leur puberté qui commençoient à pousser. Leur doigt du milieu encore plus courbe se tenoit immobile sur une petite partie de chair ronde et presqu’imperceptible. Ce fut le seul moment de ma vie dans lequel j’ai connu avec évidence la véritable trempe de mon âme ; et j’en fus satisfait. J’ai ressenti une horreur délicieuse. Ce sentiment nouveau me força à recouvrir moi-même les deux nudités ; mes mains trembloient. Quelle trahison ! L’espèce en étoit aussi neuve que cruelle. Mariuccia n’avoit pas un esprit fait pour en comprendre la grandeur. Elle avoit trahi de bonne foi le plus grand secret de deux âmes