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Page:L’Ermitage - 1906, tome 2, juillet-décembre.djvu/184

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li, tout copié d’excellentes académies. L’Apollon du Belvedère, Antinoüs, Hercule, et la Vénus de Titien, qui étoit couchée, tenant sa main là même où j’avois vue celle de ces bonnes filles. Le phénomène de l’âme que j’ai vu dans ce moment-là, et qui me fit le plus grand plaisir fut une dispute entre Guillelmine et ma fille.

Ma fille ne vouloit pas permettre que je m’arrêtasse à considérer cette Vénus, et Guillelmine se moquoit d’elle. Elle prétendois qui je ne devois pas m’arrêter à considérer ni l’Antinoüs ni l’Apollon, car étant homme je ne pouvois trouver rien de nouveau dans ces dessins, et qu’au surplus elles ne devoient pas faire savoir qu’elles avoient osé les dessiner. Le plaisir que cette dispute me faisoit m’inondoit l’âme ; mais je fus embarrassé quand elles m’élurent pour arbitre de leur opinion. Je ne sais pas, leur disais-je enfin, qui de vous deux a raison ; mais si je consulte le plaisir que vos dessins me font, je vous dirai que la Vénus m’intéresse plus qu’Antinoüs. Le plaisant est qu’elles crurent toutes les deux d’avoir remporté la victoire, et Guillelmine n’a pas voulu entendre une plus ample explication. J’ai donné dans toute ma vie la plus grande importance à ces bagatelles, qui me servoient à me tracer le chemin pour parvenir à pénétrer dans le cœur des objets dont j’aspirois à la conquête.

Elles allèrent à l’école, et quand je fus habillé, je suis allé faire une visite à la signora Veronica. J’y ai vu sept à huit filles, toutes fort jeunes. Aucune ne put me distraire de Guillelmine. Pour avoir une raison d’aller souvent à cette école, j’ai prié la maîtresse de faire mon portrait en miniature : n’étant pas riche, elle devoit être enchantée de gagner six sequins ; et le lendemain j’ai promis six autres sequins à Guillelmine pour faire mon portrait au crayon, en robe de chambre et en bonnet de nuit. Par cette raison elle devoit venir chez moi de très bonne heure. Le lendemain, s’étant fait trop attendre, Jacomine lui dit qu’elle devoit rester coucher avec elle, sa mère Mariuccia confirma et sa tante n’eut aucune difficulté à y consentir. Pour lors j’ai tout espéré. Le quatrième jour de mon séjour à Frascati, Guillelmine vint tout seule souper avec nous, et pour éloigner de la tête de ma chère Jacomine toute esprit de jalousie, j’ai acheté de son père une montre d’or avec agraffe, et je lui en ai fait présent après souper. La petite devint folle de joye : sous prétexte de reconnaissance, elle se livra à me faire cent caresses, que j’eus quelque peine à recevoir gardant une contenance de