Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/128

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flots les honneurs dus aux dieux. Cette déesse prend pitié du héros errant sur la mer et souffrant mille douleurs (semblable à un oiseau plongeur, elle s'élance du gouffre des eaux) ; elle se place sur le radeau d'Ulysse et lui adresse ces paroles :

« Malheureux ! pourquoi Neptune est-il si violemment irrité contre toi ? Pourquoi te prépare-t-il des maux si grands et si terribles ? Non, malgré son désir, il ne te perdra pas ! Fais ce que je vais te dire (car tu ne me parais point manquer de prudence). Quitte tes habits, abandonne aux vents ton radeau, et, gagne, en nageant avec force, le pays des Phéaciens où le destin veut que tu sois sauvé ; puis entoure ta poitrine de ce voile sacré, et désormais tu n'auras à craindre ni les souffrances, ni la mort. Lorsque tes mains auront touché la plage, détache ce voile, et jette-le loin des rives, dans la mer ténébreuse, en détournant le visage[1]. »

En disant ces mots elle lui donne un voile ; et, semblable à un oiseau plongeur, la déesse se précipite dans la mer : une vague noire la dérobe aussitôt aux regards d'Ulysse. L'intrépide héros réfléchit aux paroles de Leucothée ; et en soupirant il se dit :

« Infortuné que je suis ! Cette déesse me tend peut-être un piège en me conseillant d'abandonner mon radeau. Je n'obéirai point ; car la terre que j'ai aperçue et qui doit être mon refuge est encore loin de moi. Ce que je vais entreprendre est, selon moi, beaucoup plus sage. Tant que ces troncs seront réunis, je resterai sur mon radeau et je supporterai avec patience toutes les infortunes. Mais dès que mon frêle esquif sera brisé par les flots, alors mes bras lutteront contre les eaux de la mer, puisqu'il ne me reste plus aucune autre ressource. »

Tandis qu'il agite ces pensées dans son âme, Neptune, le dieu qui ébranle la terre, soulève et roule contre Ulysse une vague immense, terrible, menaçante et haute comme une montagne. Ainsi que le souffle impétueux des vents emporte un monceau de

  1. Dugas-Montbel est, de tous les traducteurs français, celui qui a le plus mal compris ce passage : αὐτὸς δ᾽ ἀπονόσφι τραπέσθαι (vers 350) (toi-même tourne-toi à l'écart) en disant : puis reprenez votre route, Voss le traduit très-clairement par : mit abgewendetem Antlilz (avec le visage détourne).