Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/130

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énormes s'élancent avec un horrible fracas sur l'aride continent, et tout est couvert par l'écume des ondes. Sur cette plage il n'y avait aucun port capable de recevoir des navires, ni aucune rade favorable ; le rivage était tout hérissé de rochers et d'écueils. Alors le divin Ulysse sent ses forces l'abandonner et son cœur défaillir; il pousse des gémissements profonds et s'écrie :

« Hélas ! lorsque Jupiter m'accorde enfin d'apercevoir cette terre inespérée, lorsqu'après avoir fendu les ondes je me croyais au terme de mes fatigues, je ne vois maintenant aucune issue pour sortir de la mer blanchissante. Ici des écueils aigus contre lesquels se brisent les flots impétueux ; là des roches immenses lisses et nues ; autour de moi le gouffre profond de la mer ; nulle part enfin je ne puis placer mes pieds pour échapper au malheur! Si j'avance, je crains qu'une vague ne m'enlève et ne me pousse contre cet âpre rocher : alors j'aurai fait des efforts inutiles. Si je nage plus avant pour trouver un port ou un rivage facile à aborder[1], je crains que la tempête ne m'enlève de nouveau et ne me rejette, malgré mes gémissements, au milieu de la mer poissonneuse. Un dieu pourrait encore m'envoyer, du fond des eaux, un de ces monstres nombreux que nourrit la célèbre Amphitrite ; car je sais combien le puissant Neptune est courroucé contre moi ! »

Tandis qu'il agite ces pensées dans son âme, une vague énorme le jette contre l'âpre rivage. Là son corps eût été déchiré, et les roches eussent brisé ses os, si Minerve aux regards étincelants n'eût inspiré le divin Ulysse. Soudain le héros saisit le rocher de ses deux mains et s'y attache en soupirant jusqu'à ce que la vague ait passé sur sa tête : c'est ainsi qu'Ulysse fut sauvé. Mais la vague, à son retour, le frappe en se précipitant sur lui, et le rejette au loin dans la mer. Ainsi, lorsque le polype est arraché de sa demeure, des cailloux nombreux adhèrent à ses pieds : ainsi la peau des mains d'Ulysse reste attachée à la pierre, et l'onde amère couvre ce héros. Là, sans doute, malgré le destin, l'in-

  1. Le texte grec porte ἠιόνας τε παραπλῆγας (vers 418) (rivage oblique ou incliné). Nous pensons que Dugas-Montbel a traduit trop librement ce passage par plage tranquille.