Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/191

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Cyclopes n'ont point de constructeurs de vaisseaux, ni de navires aux parois teintes en rouge, pour se transporter vers les cités (car souvent les peuples traversent les mers dans leurs navires pour se visiter les uns les autres), et pour aborder à cette terre afin de la cultiver et de la rendre habitable. Cette île, loin d'être stérile, peut produire des fruits en toute saison. On aperçoit des prairies humides et touffues qui s'étendent sur les bords de la mer blanchissante. Si l'on plantait des vignes en ces lieux, elles y seraient éternelles ; le labourage y serait facile, et l'on recueillerait chaque année des moissons abondantes, parce que le sol de l'île est gras et fertile. Là se trouve aussi un port commode où l'on ne se sert jamais ni de cordages, ni d'ancres, ni de liens pour attacher les navires. Quand les vaisseaux abordent en ces contrées, ils y restent jusqu'à ce que les nautoniers désirent partir et que les vents viennent à souffler dans les voiles. À l'extrémité du port coule une onde limpide dont la source est placée sous une grotte entourée de magnifiques peupliers. C'est là que nous arrivâmes et qu'un dieu nous guida pendant la nuit obscure. Nul objet ne frappa notre vue ; d'épaisses ténèbres enveloppèrent nos vaisseaux, et la lune, cachée par les nuages, ne brilla point dans le ciel. Aucun de nous ne découvrit cette île. Nous n'aperçûmes même pas les vagues énormes qui roulaient en s'avançant vers les rives avant que nos vaisseaux eussent touché la plage. Enfin nous abordons, nous plions les voiles, nous descendons sur les bords de la mer, et là nous nous endormons en attendant le retour de la divine Aurore.


» Le lendemain, aux premiers rayons du soleil, nous parcourons, pleins d'admiration, cette île agréable et fertile. Alors les nymphes, filles de Jupiter, nous envoient pour notre repas les chèvres des montagnes. Aussitôt nous apportons de nos navires nos arcs recourbés, nos javelots à la longue pointe, et nous nous divisons en trois bandes ; puis nous lançons nos traits, et les dieux nous accordent à l'instant une chasse abondante. Douze vaisseaux m'avaient suivi : chacun d'eux obtint par le sort neuf chèvres, moi seul j'en pris dix. Durant le jour et jusqu'au coucher du soleil nous goûtons ces viandes exquises et nous savourons le doux nectar ; car