Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/205

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« Cyclope, si quelqu'un parmi les faibles mortels t'interroge sur la honteuse plaie causée par la perte de ton œil, dis-lui qu'elle te fut faite par le fils de Laërte, Ulysse, le destructeur des villes, Ulysse qui possède de superbes palais dans Ithaque »

» À ces paroles le monstre répond en gémissant :

« Hélas ! la voilà donc accomplie cette ancienne prédiction ! Jadis était en cette île un devin fort et puissant qui s'appelait Télémus : il était fils d'Euryme, et il excellait dans l'art de la divination. Télémus vieillit au milieu des Cyclopes en leur annonçant l'avenir : il me prédit tout ce qui devait plus tard s'accomplir, et il me dit qu'Ulysse me ravirait la vue. Je m'attendais toujours à voir arriver dans ma grotte un héros grand, superbe, et doué d'une force immense ; et pourtant aujourd'hui c'est un homme petit, faible et lâche, qui m'arrache l'œil après m'avoir dompté par le vin ! Viens donc maintenant, Ulysse, pour que je t'offre les dons de l'hospitalité et que je supplie Neptune de t'accorder un heureux voyage ; car moi, je suis son fils, et il se glorifie, lui, d'être mon père ! Mais si cet immortel le veut, il me guérira : lui seul, parmi les hommes et les dieux, en a le pouvoir ! »

» Il dit ; et moi je lui réponds en ces termes :

« Que ne suis-je aussi sûr, monstre cruel, de te priver de la vie et de t'envoyer dans les sombres demeures de Pluton, comme il est certain que Neptune ne te rendra pas ton œil ! »

» Alors le Cyclope implore Neptune en élevant ses mains vers le ciel étoilé.

« Écoute-moi, puissant Neptune, immortel à la chevelure azurée, toi qui entoures la terre et les eaux ! Si vraiment je suis ton fils, et si tu te glorifies d'être mon père, fais que ce destructeur des villes (ce fils de Laërte, habitant d'Ithaque) ne retourne point dans ses demeures ! Cependant, si le destin veut qu'il revoie ses amis, sa patrie et ses riches palais, fais du moins que, conduit sur un navire étranger, il ne rentre dans ses foyers qu'après de longues années de souffrances ; fais encore, ô Neptune, qu'après avoir perdu tous ses compagnons, il ne trouve dans sa maison que de nouvelles infortunes ! »



» C'est ainsi qu'il priait, et Neptune exauça ses vœux. — Le