Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/229

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dant tout le jour nous voguons, les voiles étendues, à travers les mers. Mais enfin le soleil se couche, et l'immense surface des eaux est cachée dans l'ombre.

» Cependant nous arrivons aux limites du profond Océan. Là se trouve la ville et le peuple des Cimmériens[1], toujours enveloppés par les ténèbres et les brouillards ; jamais le brillant soleil ne les éclaire de ses rayons, soit qu'il monte vers la voûte étoilée, soit que du haut des cieux il se précipite sur la terre ; mais une nuit funeste couvre sans cesse ces mortels infortunés. Lorsque nous avons abordé, nous tirons le navire sur la plage, nous débarquons les victimes et nous parcourons les bords de l'Océan en cherchant l'endroit que nous avait enseigné la déesse Circé.

» Euryloque et Périmède s'emparent des animaux consacrés ; et moi, saisissant mon glaive aigu, je creuse un fossé d'une coudée en tous sens, puis je fais des libations aux morts : la première avec de l'eau et du miel, la seconde avec un délicieux nectar, et la troisième avec de l'eau, sur laquelle je répands de la blanche fleur de farine. J'invoque les ombres légères des morts en leur promettant d'immoler, quand je serai de retour à Ithaque, une génisse stérile, la plus belle de toutes, et de brûler sur un bûcher des offrandes précieuses. Je promets en outre de sacrifier à Tirésias seul un bélier entièrement noir, celui qui l'emportera sur tous les autres béliers. Après avoir adressé mes vœux et mes prières aux morts, je saisis les victimes, je les égorge dans le fossé ; et soudain un sang noir se répand sur les libations. Les âmes des morts s'échappent aussitôt de l'Érèbe et arrivent en foule. Je vois autour de moi des épouses, des jeunes gens, des vieillards accablés de misères, et des vierges déplorant leur fin prématurée ; je vois encore des guerriers qui furent blessés par des lances d'airain, et d'autres qui portent encore leurs armures

  1. Par Cimmériens il faut entendre les peuples voisins du lac Averne, aujourd'hui Lago Averno, entre Baies et Cumes. Selon Hesycbius, le nom de Cimmériens fut donné à ces peuples parce qu'ils habitaient une contrée ténébreuse. Voelker fait dériver ce mot de χειμέριος (hiver) ; Voss au contraire le fait venir du mot phénicien kamar, kimmer (chaleur et obscurité). (vers 15)