Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/34

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et s'envole comme un oiseau qui se perd dans les nues. Elle remplit le cœur de Télémaque de courage et d'audace, et le souvenir d'Ulysse s'y réveille avec une force nouvelle. Frappé d'étonnement, il s'abandonne à ses peines en reconnaissant dans son hôte une divinité de l'Olympe. Soudain ce héros s'avance avec la majesté d'un dieu, et s'arrête auprès des prétendants.


Au milieu d'eux préludait un illustre chanteur, et tous assis l'écoutaient en silence : il chantait les malheurs des Achéens et le triste retour que leur avait imposé loin d'Ilion Minerve-Pallas.


Retiré dans un appartement supérieur [1], la sage Pénélope, fille d'Icare, recueille en son âme ces chants sacrés ; puis elle descend l'escalier élevé de son palais, non pas seule, mais accompagnée de deux suivantes. Quand cette noble femme est arrivée près des prétendants, elle se tient sur le seuil de la porte, et un voile léger couvre son visage : deux suivantes, d'une conduite irréprochable, se tiennent à ses côtés. Alors, les yeux baignés de larmes, elle adresse ces paroles au chantre divin :


« Phémius, vous connaissez beaucoup d'autres récits qui charment les mortels, tels que les exploits des héros et des dieux que célèbrent les poètes. Chantez donc une de ces actions mémorables tandis que les hommes boivent le vin en silence ; mais cessez ce chant lugubre qui m'afflige et porte le désespoir au fond de mon cœur brisé par la douleur la plus grande. Oui, je regrette une telle âme [2] en songeant à mon époux, dont la gloire a retenti dans toute la Grèce depuis Hellas jusqu'au milieu d'Argos [3]. »


Le prudent Télémaque reprend aussitôt en ces termes :

« Ma mère, pourquoi refuser à ce poète harmonieux de nous charmer selon les inspirations de son esprit ? Ce ne sont pas les poètes qui causent nos infortunes, mais Jupiter, qui distribue comme

  1. Pour la description de l'appartement des femmes grecques (ὑπερῷον), voir l'Iliade, liv. II, notes.
  2. Dans le texte grec il y a κεφαλὴν (tête), que nous avons rendu par âme. Eustathe fait observer que, dans les poèmes d'Homère, κεφαλή (tête) est souvent synonyme de ψυχή (âme).
  3. Le nom d'Hellas, joint à celui d' Argos, désigne la Grèce entière, dont ces deux pays étaient les limites extrêmes.