Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/89

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élevé des palais pour que ce héros amenât d'Ithaque ses trésors, son fils et son peuple. J'aurais fait sortir tous les habitants d'une des cités qui entourent Sparte et qui sont soumises à mon empire. Là nous nous serions souvent réunis ; rien ne nous aurait empêchés de nous aimer et de nous réjouir jusqu'à ce que le nuage sombre de la mort nous eût enveloppés. Mais un dieu, jaloux d'un tel avenir, ferma au malheureux Ulysse le chemin de sa patrie! »

Il dit ; et ce discours attendrit tous ceux qui l'entendent. L'Argienne Hélène, fille de Jupiter, verse d'abondantes larmes ; Télémaque et Ménélas pleurent aussi, et le fils de Nestor voit bientôt des pleurs s'échapper de ses paupières. Ce héros se souvenait de l'irréprochable Antiloque qu'immola le fils célèbre de la splendide Aurore. Pisistrate, plein du souvenir de son frère, prononce ces rapides paroles :

« Fils d'Atrée, le vieux Nestor te regardait comme le plus prudent des hommes quand nous parlions de toi (dans nos palais et que nous discourions ensemble). Maintenant, si cela est possible, obéis-moi ; car je ne puis me réjouir à voir couler des larmes pendant le repas. Quand la fille du matin, Aurore aux doigts de rose, brillera dans les cieux, je ne m'opposerai plus à ce qu'on pleure ceux qui sont morts atteints par l'irrévocable destinée. Le seul honneur que nous puissions rendre aux pauvres mortels, c'est de couper notre chevelure[1] et de mouiller notre visage de nos larmes. J'ai perdu moi-même un frère qui n'était certes pas le dernier des Argiens. Ménélas, tu as dû le connaître; mais moi je ne l'ai ni vu, ni rencontré. Cependant on dit qu'Antiloque l'emportait sur tous, et par sa vitesse à la course, et par sa vaillance dans les combats. »

Le blond Ménélas lui répond à son tour :


« Ami, tu viens de t'exprimer comme un homme sage, et même plus âgé que toi. (Né d'un père prudent, tu parles avec prudence. On reconnaît aisément la postérité des mortels à qui le fils de Saturne marqua d'avance d'heureuses destinées au jour

  1. Chez les anciens Grecs, on couvrait les tombeaux avec les cheveux des amis de ceux qui venaient de mourir.